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quelques assez bonnes raisons pour cela. Peu à peu, M. Chamberlain a tisé, sinon les résistances du Transvaal, au moins celles de l’opinion britannique, et on peut dire aujourd’hui qu’il la tient presque complètement à sa discrétion. Il l’a insensiblement habituée à l’idée d’un recours à la force, qui lui répugnait encore il y a quelques mois. Il l’a convaincue qu’il n’y avait pas d’autre moyen d’en finir, puisque M. Krüger n’y mettait si évidemment aucune complaisance. Enfin, c’est de guerre lasse qu’il l’a acculée à la guerre, et il est maître aujourd’hui de l’y précipiter. M. Chamberlain a montré, dans toute cette campagne, une habileté qu’on ne saurait méconnaître ; les maladresses et les contradictions qu’on lui reproche ne sont qu’apparentes ; il a toujours su où il allait, mais il ne pouvait y conduire les autres que par des chemins embrouillés. Avant d’accomplir l’acte final et décisif, il a attendu que le Parlement fût séparé, parce que dans le Parlement il y a toujours une opposition, et que, si faible qu’elle soit, elle parle. Elle peut prononcer des paroles qui sont quelquefois relevées plus tard. Cependant, le dernier jour de la session, il a cru le moment venu de déchirer les voiles, et d’afficher sa politique dans toute sa crudité. Au point où on en était venu, M. Krüger semblait dire : — Je vous accorde tout, pourvu que vous reconnaissiez mon indépendance. — M. Chamberlain a mis une vigueur impatiente et irritée dans ses déclarations, et c’est précisément son indépendance qu’il a refusée au Transvaal, en le traitant de pays vassal. Depuis, dans une fête champêtre qu’il a donnée à Highbury, sa résidence d’été, il a renouvelé les mêmes sommations dans des termes encore plus énergiques, donnant ainsi son sens véritable à la note qu’il était occupé à rédiger, et ne laissant au malheureux Transvaal d’autre parti que de se soumettre, ou de recourir à la fortune des armes. Et il n’y a pas de fortune miraculeuse qui puisse favoriser jusqu’au bout les armes des boërs. Que ce soit par l’entremise d’une commission mixte où l’Angleterre serait forcément prépondérante, ou par tout autre moyen, M. Chamberlain entend s’immiscer dans les affaires intérieures de la petite république. Il y voit un foyer autour duquel viennent se grouper tous les mécontentemens de l’Afrique australe, et il veut le disperser et le détruire à tout prix. Le développement ultérieur de la politique impériale présente à ses yeux des exigences devant lesquelles il ne recule pas. Le Transvaal gêne cette politique, cela suffit. Pour M. Chamberlain il n’y a jamais eu d’autre question, et il a fait aujourd’hui accepter son point de ue par toute l’Angleterre. Lord Salisbury, sur lequel on avait eu tort de compter pour mettre un frein à cette fureur d’impé-