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chez lui, élargie et développée, une répétition de la nature du père. »

Le profond égoïsme de Gœthe se montre à nous, tout entier déjà, dans le récit de ses premières aventures amoureuses, et en particulier de son roman avec Annette Catherine Schœnkopf, la fille de l’hôtelier de Leipzig chez qui il prenait pension. Gœthe lui-même, dans Vérité et Poésie, n’est pas éloigné de juger regrettable la façon dont il s’est conduit avec cette jeune fille, après avoir d’abord si vivement sollicité sa tendresse. Mais ses biographes, là encore, se bornent à flétrir les « Philistins » qui osent blâmer la conduite d’un si grand homme. Et l’on chercherait en vain l’ombre d’un blâme pour Gœthe dans le chapitre consacré à ce mémorable roman par M. Julius Vogel, auteur d’un très intéressant ouvrage illustré sur le Séjour de Gœthe à l’Université de Leipzig. M. Vogel, d’ailleurs, n’a point prétendu refaire la biographie du jeune poète, mais simplement la compléter en mettant sous nos yeux le plus grand nombre d’images et de menus documens qu’il a pu recueilli Il nous fait voir, par exemple, les portraits en silhouette du père et de la mère de Catherine Schœnkopf, et un délicieux portrait en miniature de cette jeune fille elle-même. Les professeurs dont Gœthe a suivi les cours, les étudians qu’il a fréquentés à l’Université, les artistes et collectionneurs saxons avec lesquels il a été en rapports, tout un monde de figures oubliées revit pour nous dans ce livre ; et vraiment ressuscité avec tant d’adresse et de soin que peu de livres sont aussi précieux pour nous renseigner sur la formation intellectuelle et artistique de l’auteur du Divan Oriental. Une conclusion, surtout, en ressort avec une évidence saisissante : c’est que les véritables maîtres de Gœthe ont été des artistes et des critiques d’art ; que la peinture l’a passionné avant toute autre chose ; et que, dès l’âge de seize ans, le commerce familier des chefs-d’œuvre de l’art plastique a développé en lui ce goût de perfection formelle qu’il n’a point cessé de garder durant sa longue vie. On sait le rôle considérable qu’a joué la musique, dans l’éducation de la plupart des grands écrivains allemands ; dans l’éducation de Gœthe, ce rôle a été tenu par la peinture et la sculpture, tandis que la musique n’a jamais été pour lui qu’un passe-temps. A Leipzig, notamment, il ne se fatiguait point de visiter les collections particulières, qui y étaient alors nombreuses et fort belles ; il apprenait la gravure, et gravait au burin des paysages imités de Ruysdaël ; il copiait les moulages des marbres antiques ; et il avait pour intime ami le peintre sculpteur Oeser, l’un des hommes qui ont exercé sur lui le plus d’influence. Sur ce Frédéric Oeser, M. Vogel nous fournit une foule de renseignemens curieux.