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Une dame qui n’était guère connue, jusqu’à présent, que pour avoir écrit une retentissante brochure sur l’Emancipation des Femmes dans le Mariage, Mme Félicie Ewart, a publié, à l’occasion du 28 août, une biographie du père de Goethe. Celui-ci, suivant elle, aurait été odieusement calomnié par les biographes de son fils ; auquel cas, en vérité, il aurait été surtout calomnié par son fils lui-même, qui, on s’en souvient, ne s’est point fait faute de railler ses manies et ses ridicules. Mais Mme Ewart estime qu’un grand homme doit, forcément, avoir eu pour père un excellent homme ; et, reprenant tout ce que nous ont dit du conseiller Goethe les critiques et les historiens, elle s’efforce de prouver que tout cela mérite plutôt l’éloge que le blâme. On a prétendu qu’il avait été tyrannique et grossier pour sa femme : celle-ci, pour peu que la chose eût été vraie, l’aurait-elle soigné comme elle l’a fait durant ses maladies ? On a prétendu qu’il ne se souciait jamais de lui faire plaisir : ne lui a-t-il pas un jour, au contraire, donné une tabatière d’or garnie de diamans ? On a prétendu qu’elle avait eu souvent avec lui des querelles de ménage : cela ne démontre-t-il pas qu’il lui laissait la pleine liberté de ses opinions, et qu’il attachait même à celles-ci assez d’importance pour prendre la peine de les discuter ? Et ainsi l’apologie se poursuit, de page en page, attestant chez Mme Ewart plus de bonne volonté que de sens critique ; car, en fin de compte, l’image qu’elle nous donne elle-même du conseiller Goethe ressemble fort à celle qu’elle avait entrepris de nous faire oublier.

Mais son livre n’en a pas moins l’intérêt de nous présenter, sous un jour moins défavorable qu’on ne le fait d’ordinaire, la forte discipline à laquelle a été soumise l’enfance du poète. Certes, le conseiller Goethe était un original ; et un grand nombre des choses qu’il a apprises à son fils ont été, pour celui-ci, tout à fait inutiles. C’est à lui, cependant, que Wolfgang a dû son goût pour les arts, et son penchant à l’observation, et ces habitudes d’ordre et de méthode qui, bien employées, ont fait de lui ce qu’il a été. Il lui a dû, encore, l’habitude de se méfier de soi-même et de résister à ses désirs ; tandis que sa mère, qui n’avait de pensée que pour le gâter, a, en somme, exercé sur lui une assez fâcheuse influence. Le seul malheur est, peut-être, que le père de Goethe ait légué à son fils ce profond égoïsme qui, même revêtu de l’épithète d’olympien, — ou de celle, plus moderne, de super-humain, — n’en reste pas moins un des traits les plus déplaisans de son caractère. Et que ce trait-là lui soit venu du conseiller Gœthe, c’est ce qui ne semble pas pouvoir être nié. En ce sens, comme en bien d’autres, Mme Ewart a raison d’affirmer que, « plus on étudie la nature du fils, plus on trouve