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entre l’écrivain et le public auquel il s’était longtemps adresse.

La littérature grecque, depuis ses origines jusqu’à la fin de la période attique, est par essence une littérature populaire. Elle s’adresse à la nation tout entière. Née de ses rêves, de ses aspirations, des besoins de son âme collective, elle se transforme avec elle et lui renvoie à mesure sa propre image. Croyances religieuses, créations mythiques, légendes répandues à travers le monde grec, telle est la matière des chants que l’aède primitif répète sur la place publique, devant les mêmes flots, sous le même ciel où elles ont pris naissance. Le lyrisme célèbre dans la cité en fête, au milieu de l’allégresse commune, l’athlète vainqueur aux grands jeux, et fait remonter l’honneur de la victoire jusqu’aux héros qui ont fondé la cité, jusqu’aux dieux qui la protègent. Le drame puise aux mêmes légendes, faisant’ agir et parler devant la Grèce assemblée des héros qui sont pour elle des ancêtres. A Athènes, l’éloquence politique vit des passions de la foule, l’éloquence d’apparat sert au panégyrique de la cité, l’histoire enregistre ses succès et ses revers. Socrate, dialoguant avec ses disciples, suit le cours de l’Ilissus ; ou bien se promenant par la ville où sa figure est familière et sa laideur proverbiale, tantôt il entre dans l’échoppe de l’artisan, et tantôt, de son bâton mis en travers, il barre la route au passant qu’il va presser de ses questions. Poète, historien, philosophe, l’écrivain n’a pas une vie différente de celle des autres citoyens ; il a mêmes devoirs et prend sa part de toutes les charges publiques ; juge, soldat, homme d’État, il ne conçoit pas que son intérêt individuel puisse se séparer de l’intérêt général. L’habitude de l’action, le commerce de la vie pratique, les exigences de la réalité à laquelle il est sans cesse ramené, font contre-poids aux tendances trop spéculatives de sa pensée et l’empêchent de s’échapper vers les rêveries sans objet et les purs jeux d’esprit. S’adressant à tout le monde, il parle, pour être compris de tout le monde, une langue simple, concrète, constamment renouvelée et rajeunie par le travail de création instinctive. Les idées et les mots lui viennent du peuple et pour ainsi dire montent du sol jusqu’à lui. En communion étroite avec son public, il y puise ses inspirations, lui emprunte les pensées et les sentimens qui s’y sont peu à peu élaborés et qu’il se contente de lui rendre en les marquant de son empreinte personnelle. Associée à la vie nationale dans ses manifestations multiples, vie religieuse, politique, militaire, commerciale, venue du peuple et retournant à lui, la littérature exprime l’âme de la cité.

Rien de semblable à partir du IIIe siècle. Depuis la victoire