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peut le craindre, l’indépendance, .l’écrivais ici, il y a deux ans, que l’Amérique avait, dans la question cubaine, sa question d’Orient. Elle a maintenant son Égypte, et Cuba est sous la garde des États-Unis, comme l’Égypte sous la tutelle de l’Angleterre. Mais, en retour, Cuba va être, par les États-Unis, généreusement dotée des capitaux et de l’outillage qui lui étaient, par l’Espagne pauvre et lointaine, — et dont les fonctionnaires y cherchaient toujours Cipango, — si maigrement dispensés, encore plus mal administrés.

Qui sait ? L’Espagne elle-même ne perdra peut-être pas tout, à avoir perdu Cuba. Qu’elle se soit refusée obstinément à la céder contre remboursement ou indemnité d’expropriation, quelle ait tenu à se la faire prendre, on sent par combien de considérations, toutes honorables et légitimes, cet héroïque entêtement s’explique. Cuba était pour elle plus qu’un morceau de territoire, un morceau d’histoire espagnole ; elle était le dernier témoin du grand passé mort, le dernier vestige du grand empire aboli : chair de la chair et sang du sang de l’Espagne — sangre de nuestra sangre. On ne s’ampute pas, on ne se mutile pas soi-même ; on ne vend ni un de ses membres, ni an tombeau de famille. Mais, puisque le glaive a coupé le lien et dégagé l’honneur, pourquoi ne pas le dire ? Politiquement et économiquement, la possession de Cuba était onéreuse à l’excès pour l’Espagne contemporaine. Elle se flattait, quand elle s’en promettait des avantages qui ne venaient jamais, et qui ne seraient jamais venus. Ni les blés d’Andalousie, ni les tissus de Catalogne, ni les fers de Biscaye n’auraient jamais trouvé là-bas un débouché suffisant. Cuba, avec ses rébellions fréquentes et ses perpétuelles mutineries, ses revendications et ses exigences, était un fardeau que sa gloire imposait à l’Espagne ; mais, s’il est permis de parler ainsi des nations, elle n’avait pas les reins assez solides pour le porter. Il y a dans le malheur des consolations et, Dieu merci, la défaite elle-même n’est pas sans espérance. Pendant vingt ans, après les misères de la Révolution, l’Espagne s’était reconstituée, par une politique qui coûtait à son amour-propre, mais que la raison ferme et claire de M. Canovas lui dictait, en s’isolant, en se recueillant, en s’abstenant des querelles et des combinaisons internationales ; si, n’ayant plus ces deux soucis aux deux bouts du globe : à l’extrême occident Cuba, à l’extrême orient les Philippines, elle se replie sur soi et se concentre plus étroitement encore, il ne serait pas étonnant et il