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presque à accaparer tout le sucre de Cuba : en 1893, 680 000 tonnes sur 815 000 ; en 1894, 965 000 tonnes sur un million et demi ; en 1895, 770 000 tonnes sur un million ; en 1896, les États-Unis auraient reçu de Cuba un peu plus de sucre que l’île n’en aurait produit dans l’année, et il y aurait donc eu une réserve : 235 000 tonnes, tandis que la récolte n’en aurait donné que 225 000[1] ; en 1897, enfin, 202 000 tonnes sur 212 000[2].

Mais la crise ne se révélait pas seulement, dans les mauvaises années, à la quantité produite, elle s’aggravait encore, jusque dans les bonnes années, de la baisse constante des prix. Le sucre blanc no 3, qui valait, en 1880, 67 francs les 100 kilos, ne valait plus, en 1884, que 45 fr. 65 ; en 1887, il descendit à 35 fr. 15, et s’il remonta, un instant, en 1893, à 42 fr. 62, ce fut pour redescendre ensuite au prix de 27 fr. 75, au-dessous même duquel il tomba en 1896. On a vu que D. Manuel Carreño indique, pour cette année-là, 25 francs les 100 kilos. C’est qu’un redoutable concurrent était entré en lice, qui disputait avec succès au sucre de canne le marché du monde, et dont les centres de production étaient multiples, en Europe même, et dans des riches et puissans États. Le sucre de betterave passait rapidement de 40 000 tonnes, en 1840, à 200 000, en 1850 : à 400 000, en 1860 ; à 900 000, en 1870 ; à 1 860 000, en 1880 ; et, en 1894, à 3 841 000 tonnes ; autrement dit, tous les dix ans, il doublait. Dans le même temps, il est vrai, le sucre de canne passait de 1 million à près de 3 millions de tonnes métriques, et, en 1893-1894, on évaluait la quantité totale de sucre existant partout, sucre de canne ou sucre de betterave, à 6 800 000 tonnes. Les États-Unis, non contens d’attirer à eux presque toute la production de Cuba, devenaient producteurs à leur tour ; en 1894, leurs usines fabriquaient 272 838 tonnes de sucre de canne, 20 119 tonnes de sucre de betterave, sans compter, ou en ne comptant que pour mémoire, 394 tonnes de sucre de sorgho et 3 408 tonnes de sucre d’érable, car la chimie est devenue alimentaire, et, en attendant qu’elle nourrisse l’humanité de petites boulettes, ce n’est plus de l’arsenic,

  1. A moins qu’il n’y ait là une transposition de chiffres (Porter, Industrial Cuba, p. 294, ce dont nous n’avons malheureusement aucun moyen de nous assurer.
  2. La part de l’Espagne était relativement insignifiante : 19 000 tonnes en 1893, 23 000 en 1894, 28 000 en 1895, 10 000 en 1896, 1 300 en 1897, Bien que, depuis 1892, le sucre de provenance antillane ne payât dans la Péninsule que 33 fr. 50 les 100 kilos, contre 82 fr, 25 qu’y payaient les sucres de provenance étrangère, l’Espagne en prenait à peine pour une trentaine de millions de francs.