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à travers le fleuve-mer. Et la voie ferrée continue de monter, elle touche de nouveau le fleuve par un court embranchement à Katha, et elle arrive à Mogoung à 1 200 kilomètres de l’Océan, abandonnant Bhamo, au fond d’un grand coude de l’Irrawaddi, incliné tout à coup à l’Est.

Cette ligne, en exploitation lors de mon passage, a maintenant rejoint Myitkila, le terminus de la navigation à vapeur, 1 600 kilomètres de rivière.

La frontière de Chine est à 21 kilomètres de Bhamo, à Nampaung sur le Taping, navigable aux grosses barques, sur plus de 40 kilomètres dans la direction de Tali-Fou. Centre important dans la province du Yunnan, cette ville se trouve ainsi à 300 kilomètres de Bhamo et des grands steamers anglais.

Ces efforts ont été couronnés de succès, car, dès maintenant, des courans commerciaux sont établis entre la Chine méridionale et Bhamo ; et j’ai vu, je vous le disais tout à l’heure, sur les rives de ce port de l’Irrawaddi, des caravanes de 400 à 500 mulets, venant de Chine, avec des marchandises considérables, prêtes à être embarquées pour Rangoon et l’Europe.

Pendant ce temps, nous fiant trop à l’opinion répandue que les montagnes qui séparent l’Irrawaddi du Mékong étaient infranchissables pour une voie ferrée, nous n’avons fait que bien peu de chose, au Tonkin. Le chemin de fer de Phu-Lang-Thuong à Lang-Son est à peine terminé, sans aboutissement vers la mer. Le fleuve Rouge a toujours une navigation précaire et Lao-Kay, comme mouvement commercial, ferait bien petite figure auprès de Bhamo. Nous n’avons donc pas justifié, jusqu’à présent, les craintes que notre présence au Tonkin inspirait, en 1883, à M. Colquhoun.

Les Anglais ont accompli, en Birmanie, une œuvre dont ils peuvent légitimement être fiers. Mais toute médaille, même la plus belle, a son revers, et le revers de leur colonisation si méthodique est le caractère et la hauteur britanniques. En effet, malgré toutes leurs qualités éminemment pratiques, malgré leur esprit de justice, malgré leur habileté à jouer de la vanité orientale, à ménager toutes les susceptibilités religieuses et les préjugés de castes aux Indes, malgré la « respectability » dont ils savent s’entourer, et dont je les loue, le respect qu’ils imposent aux indigènes, la distance qu’ils savent toujours garder, la juste crainte qu’ils maintiennent sans violence, les Anglais ne s’assimilent