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grande la nuit. C’est comme l’immense poussée de la chaude végétation ; les bambous éclatent comme une détonation ; j’entends des cris, des sons inconnus, et ce bruit de tonnerre assourdi, murmure des éléphans, qui monte du fond des vallées, avec le cop ! cop ! des tigres, moins agressifs qu’on ne croit. Ils viennent bien enlever un chien jusque dans le campement, mais on ne cite pas d’exemple de voyageur attaqué sous sa tente, car, heureusement, ils sont plus peureux encore que les hommes. Dans cette même année, pendant plus de cinq mois, je les ai entendus, et les cris des cerfs aux abois ; j’ai vu souvent leurs empreintes et celles des éléphans ; mais jamais je n’ai aperçu le grand félin, et je ne l’ai pas regretté.

Après m’être élevée jusqu’à 1 825 mètres, la plus haute altitude qu’atteigne la route militaire anglaise, j’arrive, deux jours après, à Xieng-Tung, où les officiers me font grand accueil.

Xieng-Tung, dans sa riche et grande vallée, est une ville de 16 000 habitans, qui possède un «cantonnement» de 900 hommes de troupes gourkas et un petit roi indigène. Elle présente l’aspect le plus charmant, entourée de ses murs d’enceinte, avec ses ponts d’entrée couverts, ses pagodes dorées et les toits de paille de ses maisons éparpillées dans la verdure.

La vallée de Xieng-Tung est une magnifique rizière de vingt kilomètres de longueur. De nombreux villages chinois entourent la ville. Leurs habitans se livrent aux cultures maraîchères et à l’élevage des porcs. Ce dernier détail provoque un mépris répulsif chez les musulmans de mon escorte, peu habitués, chez les Hindous, à rencontrer cet animal impur. Les jolies aigrettes, oiseaux des rizières, que les Anglais appellent" paddy-birds, » sont nombreuses dans la vallée, malgré la grande chasse qui leur a été faite, à la dernière saison, pour orner nos chapeaux.


Je touche à la fin de mon voyage dans le pays shan. Dix jours seulement me séparent de Xieng-Sen et du Mékong ; je détiens, dans ce dernier parcours, le record de la vitesse, sur les seules traces de M. Garanger, du côté français, et de M. Stirling et du capitaine Carrick, sans parler de deux officiers anglais qui n’ont pas dépassé Hong-Luk.

Le sawbwa ou prince indigène de Xieng-Tung nous donne un interprète shan sachant le birman, qui m’accompagnera jusqu’au Mékong et nous procurera des guides successifs dans les