Page:Revue des Deux Mondes - 1899 - tome 155.djvu/410

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

leurs ébats en poussant des cris qu’on croirait humains. L’un d’eux a la taille d’un enfant de douze ans. Tout à coup un immense abîme de verdure s’ouvre devant nous. Le soleil y verse à flots sa lumière et l’œil en pénètre les profondeurs. Mes soldats « Punjabi » eux-mêmes s’arrêtent saisis d’admiration : « Bota atcha ! » s’écrient-ils, « comme c’est beau ! » C’est une vraie jouissance que de planter sa tente dans ces grandes épaisseurs de végétation ; tel sera mon sort sans interruption durant un mois.

Des ponts écroulés nous créent des descentes et des montées périlleuses ; dans des passages marécageux, les chevaux s’ébrouent et enfoncent jusqu’au ventre. Je me suis vue trop heureuse, à l’un de ces mauvais endroits, de passer à pied avec mon écuyer de confiance, sur un long tronc d’arbre couché au-dessus de la fondrière plutôt que de risquer d’y tomber, tête première, avec mon poney.

Nous chevauchons plusieurs jours sur ces hauts plateaux accidentés et nous arrivons enfin dans la « plaine hantée. »

Les grands joncs surmontés de leurs hauts panaches, qui obstruent le regard, avec les natt sans doute, ont causé tout le mal. En vain, le matin, l’un de mes cipayes avait-il jeté son « la Ilâh illa Allâh, » ces musulmans ne connaissent pas les natt, et nous ne possédions pas la moindre clochette pour éloigner le Malin ! Aussi qu’est-il arrivé ? Il fallait bien s’y attendre. Notre caravane s’est trouvée divisée en quatre tronçons, et, ni les uns, ni les autres, nous n’avons pu trouver l’étape ! Je suis seule avec mon caporal. Il tente de couper au plus court, à travers les grands joncs qui s’étendent sur une douzaine de milles carrés, semés de quelques oasis de bambous et de quelques mamelons tous pareils ; mais les indigènes, profitant du chaud soleil de 60 degrés, ont incendié les joncs, et les flammes nous barrent le passage. Ailleurs, des eaux profondes nous détournent de notre chemin. Quand nous arrivons enfin à des oasis, nous demandons Nang-Sarrik. Les gens comprennent ou ne comprennent pas. Ils nous envoient à un autre village en arrière. Les heures passent ; nous tournons sur nous-mêmes, et les hameaux sont de plus en plus misérables, les gens de plus en plus épeurés de nous voir. La nuit est venue : il faut s’arrêter ! J’ai fait douze heures et demie de marche effective, tant à pied qu’à cheval, et nous sommes dans le plus pauvre hameau, abritant ses huit ou dix cases sous les