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commence, et le chemin tourne en corniche au-dessus de profondes vallées, coupé sans cesse de petits ponts de bois près desquels se lit parfois un avis prudent écrit en anglais : « Dangereux pour éléphans. « 

Je marche, tous les matins, deux ou trois heures avant de monter à cheval. Des pluies de volubilis bleu pâle retombent de la cime des plus grands arbres. Les abîmes de verdure, coupés par de gigantesques lianes accrochées, se perdent au-dessous de moi dans la belle sauvagerie de la nature. Partout volent, de branche en branche, de jolis oiseaux bleu foncé, les ailes bordées de blanc, ouvertes en éventail, de chaque côté d’une queue très longue comme celle de l’oiseau de paradis.

Tous les soirs, sur la route anglaise, l’inspections bungalow, sous forme de chalet de bambou, toujours dans le site le plus pittoresque, offre au voyageur le gîte le plus confortable, sans qu’il soit nécessaire de déployer sa tente. Rien n’est plus coquet et plus pratiquement organisé que ces asiles sous leurs grands toits avançans, du genre des poonghee kiung, monastères bouddhiques. Une grande véranda, ouverte sur trois faces par de grands auvens de nattes de bambou, constitue le salon et la salle à manger, avec tables, buffets garnis de vaisselle, fauteuils pour s’asseoir ou s’étendre. En arrière sont deux chambres avec tables, fauteuils et cadres de lit pour la literie avec laquelle on voyage toujours ; puis deux grands cabinets de toilette avec larges « tubs » que le gardien s’empresse de remplir d’eau dès que vous arrivez. Portes, cloisons, clôtures et plancher sont en lattes de bambou ; le tout propre et agréable à l’œil, sur de hauts pilotis.

D’autres petites cases sont espacées dans le campoong pour la cuisine, pour les gens, pour les chevaux et les communs.


Sur le plateau de Kalow, je suis à 1 650 mètres d’altitude, au milieu d’un village d’une certaine importance, si j’en crois la foule qui se presse, les nombreuses pagodes et les htî répandus. C’est jour de grande pwe, et il y a théâtre, musique, danse et fête religieuse chez un riche Shan qui fait fête aux poonhhees « pour se porter bonheur. » Il y a, en cette saison, beaucoup de pwe, et les djunghi, habitans du jungle, sont nombreux à la fête. On s’est empressé de me faire place ; chaque artiste vient me danser, chanter, mimer ses plus jolies scènes, tandis que le maître me fait apporter un panier d’oranges exquises. Nous sommes sous un