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un natt, un diable ; les chiens aboient et les vaches s’inquiètent et meuglent.


II. — LES ETATS SHANS

Revenue de mon excursion à Bhamo et au pays des Kakhins, je me dispose à quitter Mandalay et les aimables hospitalités anglaises pour gagner Hué, la capitale d’Annam, en un voyage de trois mois à travers les États shans et le Laos.

Le lieutenant-gouverneur, sir Frédéric Fryer, qui s’est montré si aimable et si bienveillant pour moi, m’a signalée aux officiers et fonctionnaires de Taunggy, de Fort Stedman et de Xieng-Tung. Il veut bien encore me donner une escorte de cinq beaux cavaliers du Punjab, portant sur la tête le vaste turban rayé blanc et bleu avec l’écharpe flottant en arrière, le fusil en main et le grand sabre à la ceinture ; parfaits soldats du reste, et un peu gentlemen, qui me serviront comme si j’étais leur officier. Dellawarkhan, leur caporal, me tiendra lieu tout ensemble d’écuyer et d’interprète. Une cinquantaine de mots hindoustani, acquis dans un précédent voyage au Cachemire et au Tibet anglais, suffiront à tous nos besoins, avec la belle langue des gestes et beaucoup de bonne volonté.

Le 25 décembre, je pars donc à cheval, les patti ou bandes de laine noire enroulées autour des jambes selon l’usage, suivie de mes cinq gardes du corps et d’un garry, char, qui portera mes bagages jusqu’à Taunggy, On m’avait offert des éléphans, mais je n’étais pas assez novice pour accepter des éléphans quand je pouvais me servir de chevaux. Ces pachydermes ne rencontrent pas toujours en montagne des sentiers assez larges pour livrer passage à leur masse énorme et ils sont obligés de se reposer un jour sur trois ou quatre pour ne pas user la plante de leurs pieds mous.

Les dix premières étapes jusqu’à Taunggy, résidence du superintendent des États shans, se font par une route carrossable, sablonneuse, parfaite aux cavaliers, mais laborieuse pour les chars, les « garries, » qui la suivent en longs convois. Elle est encombrée de caravanes shanes, dont les bœufs marchent en troupeaux désordonnés, heurtant leurs gros paniers les uns contre les autres, dans un blanc nuage de poussière.

Dès qu’on s’élève au-dessus de la plaine, la verdoyante végétation