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pagode est tout un ensemble de htî. Tous ces pagodons, semés sur les monticules et entourés d’immenses et bizarres monastères de bois, forment un tableau des plus pittoresques.

Au delà, c’est le grand jungle, la forêt vierge qui commence, et se continue en Chine sur des milliers de kilomètres montagneux. Sous mes yeux, de longues caravanes de 300 et 500 mulets défilent sur le sable. Elles apportent ici tout ce qui constitue le commerce du Yunnan et de la Chine, et qui en peu de jours sera rendu à Rangoon et à la mer.

Tout un quartier de la ville appartient aux trafiquans chinois et yunnanais, groupés autour d’un riche temple dédié à Confucius. Ils viennent acheter le coton, le jade, la pierre précieuse de la Chine, et les articles d’Europe.

Le Deputy Cojnmissioner a la bonté de mettre à ma disposition un petit steamer du gouvernement, le Rob Roy, pour continuer de remonter l’Irrawaddi.

Jusqu’à Bhamo, la vallée est restée plate et sablonneuse. Au-dessus, les défilés boisés commencent ; c’est jusqu’à Simbo, la partie la plus pittoresque, un paysage calme, reposant, dans lequel les Anglais retrouvent leur Écosse. Rien n’y manque, pas même le brouillard du matin. Les rives se rapprochent, les roches rendent par moment la navigation difficile, et l’on corne dans les défilés comme aux tournans des routes dans les montagnes ; cette précaution n’est pas inutile, car nous croisons deux steamers qui descendent le fleuve.

Le charmant village de Simbo, en pleine forêt, domine l’Irrawaddi du haut de son monticule, surmonté de sa pagode et de son monastère. De grands troncs d’arbres sont épars sur la haute berge, bois de chauffage pour les bateaux à vapeur, que prépare tout un monde de travailleurs, des Kakhins, la petite race sauvage déjà entrevue à Bhamo. Ils portent un large sabre, le dâh[1], suspendu en sautoir, par un grand anneau de jonc. Leurs jambes sont chargées de cercles de cuivre superposés qui forment de hautes genouillères. Et, si primitifs qu’ils paraissent, leurs longs fusils, dissimulés derrière les buissons, ont tué nombre de soldats anglais. Je m’attarde jusqu’à la nuit à flâner et à regarder dans les cases, mais on est si peu habitué à voir des promeneurs que les enfans se sauvent à mon approche, comme s’ils voyaient

  1. Ce mot, se prononce « dao ».