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de peinture décorative. Cet élève de Th. Couture avait exposé, en 1859, un retour de chasse que personne n’avait remarqué, mais cette fois-ci, dans les deux très importantes compositions : la Paix et la Guerre, de hautes qualités d’allure furent très appréciées des artistes et obtinrent l’éloquente admiration de Paul de Saint-Victor. Je n’affirmerai pas que ces œuvres fussent absolument nouvelles. On y sentait l’influence directe de l’école de Fontainebleau ; et le Poussin aussi avait bien un peu présidé aux lignes d’un paysage dont la couleur délicate et effacée faisait en même temps songer aux fresques du Primatice. Cependant leur ensemble, quoique composite, ne manquait ni d’originalité ni de noble grandeur. On était d’ailleurs loin de prévoir l’extrême importance que leur peintre prendrait un jour dans l’école française, bien qu’il fût applaudi par les délicats, ce qui est le signe des vrais succès. Nous reparlerons de Puvis de Chavannes à propos de la peinture murale dont il sera le plus illustre maître.

En attendant occupons-nous un instant de Théodule Ribot, qui était fidèle à toutes les expositions.

Il semblait se renfermer dans je ne sais quelle officine espagnole. Il a dû être un habitué de ces salles du Louvre qui, jadis, contenaient quatre ou cinq cents tableaux venus de ce pays, déposés là par les princes d’Orléans, qui les réclamèrent après 1848. Qui d’ailleurs n’eût été attiré par leur fanatique silence ? Il m’en reste comme un rêve plein d’effrayant mystère, d’extases farouches, de noirceurs pieuses et d’éclats fulgurans. Cela sentait le cloître et l’inquisition. Il y avait là des choses d’une intensité lugubre, de férocité froide ; des supplices inimaginables, entre autres celui de ce saint qui, tournant lui-même une meulette, dévidait ses propres entrailles enroulées tout autour. Et ce Saint Barthélémy, de Ribera, quelle merveille horrible ! Des bourreaux l’écorchent tout vif, et le couteau entre les dents, en arrachent avec des pinces les lambeaux de peau sanglante ; et vraiment, les lèvres du patient tremblaient de douleur contenue et de prière. Et le Saint François aux stigmates de Zurbaran, et les Herrera, et les divins Morales, et les Goya ! Comme toutes ces toiles vivaient étrangement dans ces salles austères et monacales pavées de carreaux rouges. Tout cela me revient à l’esprit comme un cauchemar dévot et grimaçant. Comme les décadens d’aujourd’hui y eussent guéri leurs pâles couleurs, leur mysticisme de petites nonnettes névrosées ! Dire qu’il y avait là trente-neuf