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Trois mois plus tard, au moment de gagner le Laos, l’héritier de Birmanie était arrêté par des agens du gouvernement français, à Laï Chau, sur la rivière Noire, près de notre dernier bureau télégraphique dans cette direction. S’il avait réussi dans son entreprise, Myngoon, le protégé des Ponghees (prêtres bouddhistes), l’héritier de droit divin, le représentant de Gautama, ne rencontrait que des amis parmi les princes des nombreux petits États des pays shans. Caché dans le dédale inextricable des montagnes et des forêts vierges de cette contrée, à peine connue de ses nouveaux maîtres, il restait introuvable tant qu’il le voulait et provoquait une nouvelle explosion de dacoïtisme d’autant plus gênante qu’elle coïncidait avec les troubles des Indes. Nous avons donc, dans cette occasion, rendu à nos rivaux un service signalé, qu’ils devraient au moins reconnaître à Bangkok.

Quelques-uns de nos nationaux avaient acquis, avant l’annexion anglaise, une situation importante. Beaucoup de ministres et de hauts personnages birmans parlaient français. On appelait alors les Français « les hauts talons. » Il paraît que nous portons les talons plus hauts que les autres. Ou bien est-ce un vieux souvenir de nos anciens talons rouges ? il faudrait alors l’aller chercher un peu loin. L’ancien ambassadeur birman à Paris, Thangyet-Mandaur, me disait en m’offrant le bras : « A la française ! » Élève du lycée Charlemagne et de l’Ecole des Mines, il avait été chargé de négocier avec nous un traité de commerce et d’amitié dans lequel on voulut voir un traité d’alliance. Il apprit à Paris que l’État de Birmanie, qu’il représentait, avait cessé d’exister, et ce fut l’ambassadeur d’Angleterre qui s’occupa de son rapatriement.

Les massacres odieux du règne de Theebaw, des désordres sur la frontière de la Birmanie anglaise, d’imprudentes chicanes à une compagnie anglaise, l’envoi d’ambassadeurs en France et en Italie et non à Londres, la crainte enfin de voir la France profiter de l’influence que quelques-uns de nos nationaux avaient conquise à la cour de Mandalay, précipitèrent l’envoi par le Foreign Office d’un ultimatum que le roi ne pouvait accepter. Immédiatement, les troupes anglaises franchirent la frontière et aussitôt la vieille dynastie des Alompra disparut. Et maintenant, aux jours fixés pour les audiences du commissioner anglais, une vieille reine se présente, en simple solliciteuse, pour appuyer un petit-fils, employé dans les bureaux du fonctionnaire.