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Pour la première fois, au céleste festin
Un pasteur vénérable accueillit notre enfance.
O toi dont la bonté, les vertus, le savoir
Ont formé mon jeune âge, ô mon guide et mon maître.
Le ciel loin de ces lieux t’a conduit, et peut-être
Dans ce mortel séjour je ne dois plus te voir !
Sois heureux, quelque part que t’ait porté ton zèle,
Fais pour d’autres encor ce que tu fis pour moi :
Qu’ils gardent tes leçons, et qu’en pensant à toi
La vertu chaque jour leur paraisse plus belle !


Pauvre poète ! il disait que son destin fut toujours de n’être heureux qu’en songe[1]. Il est certain qu’aucun de ses vœux n’a été exaucé. Il s’était épris de Mme Pauline Burnier-Fontanel dont il aurait voulu faire sa femme, et le sort voulut qu’après sa mort, elle entrât dans sa famille au bras de son frère. Il aurait voulu dormir dans le cimetière de son pays, au haut de la colline qui dévale si gracieusement vers la Mayenne[2], et il a été enterré dans une nécropole parisienne[3], loin des siens, loin de sa petite ville, sans avoir eu le temps de construire la maisonnette aux volets verts, à la façade blanche et aux tuiles rouges du rêve d’Horace, et dans le jardin de laquelle il se faisait une fête de dresser, comme en un campo santo, des mausolées à tous les poètes morts jeunes, depuis Tibulle, son poète favori, jusqu’à Malfilâtre et Gilbert[4]. Mais son lit de mort, pour n’avoir point été arrosé des larmes de sa mère et de l’eau bénite des bonnes vieilles de son pays, n’en fut pas moins très entouré. Ses frères, l’abbé Burnier-Fontanel, ses meilleurs amis étaient là quand il mourut. Ce fut l’abbé de Frayssinous qui l’assista dans ses derniers momens

  1. Epître à Maine de Biran.
  2. Pour moi, j’irai rêver sur ce vieux Bout du Monde,
    Superbe promenoir de nos simples aïeux.
    Qui depuis deux cents ans suspend au bord de l’onde
    Les marronniers plantés sur son roc sourcilleux.
    Là je contemplerai cette enceinte où la croix,
    Saluée en passant du pieux villageois,
    Annonce à mes regards la demeure dernière
    Qui, tôt ou tard, de l’homme engloutit la poussière.
    Le crois-tu, cher ami, dans ce funèbre enclos
    J’aime à choisir la place où m’attend le repos.
    Pour moi cette pensée a je ne sais quels charmes.
    (Souvenirs de l’enfance.)

  3. Le Père-Lachaise.
  4. Voir son étude sur André Chénier.