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rien et pour plus d’une raison. Que j’aurais pourtant d’envie de vous voir, de vous embrasser, de vous pratiquer, de tirer de cette amitié ce qui doit m’en revenir et dont vous me rendez si peu fidèle compte ! Me voilà donc, au lieu de cela, seul dans mon bureau, égayé de temps en temps par une barbe juive ou un ministre du saint évangile[1]. N’en plaisantons point, je vous en prie, j’ai en général affaire à de braves gens, et je les aime en vérité de tout mon cœur. Allez, Dieu leur fera miséricorde, ce qui ne m’empêche pas de le remercier d’être catholique. »

Catholique, il l’était, en effet, mais à la façon de Royer-Collard, de Guéneau de Mussy, de Molé, de Pasquier, d’Ambroise Rendu qui se rattachaient, par les liens du corps et les traditions de l’esprit, à la grande école de Port-Royal. Outre qu’il appartenait à une famille foncièrement religieuse, il s’était lié à Paris avec l’abbé Burnier-Fontanel, protonotaire apostolique et doyen de la Faculté de théologie, dont la nièce, après lui avoir inspiré des vers charmans[2], les seuls vers d’amour de son œuvre, devait épouser son frère. Celui-ci, quand il était recteur, passait pour un évêque laïque aux yeux de ses subordonnés. Je ne sais donc pas pourquoi Sainte-Beuve dit quelque part[3] que Charles Loyson aurait été

  1. Il était à la fin de sa vie chef du Bureau des Cultes non catholiques au ministère de l’Intérieur.
  2. Quand je vous vis pour la première fois
    Pleine de feu, folâtre et sémillante,
    Votre air, vos yeux, vos gestes, votre voix,
    Tout exprimait une gaîté brillante.
    Dieux ! à ce point avez-vous pu changer ?
    Triste aujourd’hui, plaintive, gémissante.
    Nos plus doux jeux semblent vous affliger.
    Vous n’y portez qu’une âme languissante ;
    Et si parfois un sourire léger
    Sur votre bouche a commencé d’éclore,
    C’est pour se perdre aussitôt dans les pleurs.
    Comme souvent un rayon de l’aurore
    Brille et s’éteint dans d’humides vapeurs.
    Pauline, enfin, c’est trop longtemps vous taire.
    De mes chagrins vous savez le sujet ;
    À mon aveu par un aveu sincère
    Il faut répondre, il faut que sans mystère
    À votre tour, de votre ennui secret
    Vous me rendiez aussi dépositaire.
    Ah ! que mon sort me paraîtrait heureux.
    Si même mal nous tenait l’un et l’autre !
    Mais plût au ciel, pour combler tous mes vœux,
    Que le mien fût le remède du vôtre !
    (Épître VI. — À Mlle Pauline X.)

  3. Port-Royal, t. I, p. 555.