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et d’une inspiration si heureuse, qu’aujourd’hui encore on serait tenté de les prendre pour les premières méditations d’un Lamartine qui s’essaie. Ecoutez, par exemple, le prélude de l’Air natal :


Te voilà, doux pays, témoin de ma naissance !
Voilà tes champs, tes prés, tes ombrages épais
Et ton fleuve si pur et tes vallons si frais.
Mais, hélas ! qu’as-tu fait des jeux de mon enfance ?
M’as-tu gardé, dis-moi, mes plaisirs, ma gaîté.
Un cœur exempt de soins, ma joie et ma santé ?
Beaux lieux où je suis né, me rendrez-vous la vie ?


Ne dirait-on pas un fragment de Milly ou la terre natale ? L’illusion est plus grande encore quand on arrive à ce passage :


Dieu ! sur des bords lointains ne placez point ma mort !
Et vous, ô de mes jours puissance tutélaire.
Si de mon lieu natal la mémoire m’est chère.
Si je ne l’ai jamais, exilé par le sort,
Ni quitté sans douleur, ni revu sans transport,
Lorsque les fiers destins auront marqué mon heure
(Et peut-être avant peu je dois sentir leurs coups).
Je ne vous prierai point de fléchir leur courroux ;
Mais, né dans ces beaux lieux, que dans ces lieux je meure !
Dans ce temple sacré qui touche ma demeure,
Que de l’airain plaintif les tristes tintemens
Annoncent de mon cœur les derniers battemens.
À ces sons entendus dans tout le voisinage.
Plus d’une bonne vieille, oubliant son ouvrage.
Et laissant un moment reposer son fuseau.
Viendra sur mon linceul pencher son saint flambeau.
Mais lorsque sur la porte on aura mis ma bière,
Chaque passant près d’elle un moment arrêté.
Secouant un rameau dans l’eau sainte humecté.
Prononcera tout bas une courte prière ;
Même les étrangers, en voyant un long deuil.
Jusqu’au dernier asile escorter mon cercueil.
Pleureront ma jeunesse en sa fleur moissonnée ;
Une mère plaindra ma mère infortunée.
Et quelques vers peut-être iront dans l’avenir.
Gravés sur mon tombeau, porter mon souvenir !


Certes, il y a dans le poète des Méditations un vague, un abandon, quelque chose de flottant, d’incertain et en même temps de fort, qu’on ne rencontre chez nul autre et qui fait son charme et son originalité propre ; cependant Loyson a déjà la phrase chantante,