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Instruire à Rome quelques Orientaux ne suffisait pas à relever la science et les vertus de clergés entiers. À ces privilégiés même, tout n’était pas avantage. Ils recevaient une éducation où tout était disposé avec l’expérience la plus consommée, mais pour préparer le prêtre aux épreuves générales de la vie et non aux épreuves particulières de l’Orient. Elle donnait aux très bons la plénitude de leur vocation, et ils revenaient avec fruit et joie travailler pour Dieu dans leur patrie. D’autres, quand ils quittaient Rome, couronnée de vertu sacrée et de splendeur humaine, pour affronter la grossièreté, la misère, le vide de leurs églises nationales, ne retrouvaient dans leur patrie qu’un exil. Les joies d’intelligence un instant goûtées, la délicatesse des habitudes sitôt prises les avaient pour jamais conquis ; fils qui rougissaient de leur mère, ils abandonnaient leur rite pour prendre celui de Rome ; elle n’avait fait d’eux que des Latins. En d’autres, la nature première n’avait été qu’endormie par une épreuve de quelques années. Jetés de nouveau parmi les habitudes, les passions et la mollesse orientales, comme des naufragés dans une mer trop vaste, ils surnageaient d’abord, puis sombraient dans l’abaissement de leur race au lieu de la régénérer, devenaient semblables aux autres et plus malheureux, parce qu’ils gardaient un impuissant remords de l’idéal perdu, et parce que leur passage à l’étranger les rendait suspects. Car les vieux préjugés des populations veillaient ; elles se plaignaient de leurs enfans enlevés pour désapprendre autant que pour apprendre ; elles ne voulaient pas recevoir par la main de fils le joug de Rome. A la tête de ce clergé qui revenait de trop loin pour leur paraître national, elles voyaient un chef étranger à leur sang, à leur langue, à leur rite, un homme d’Occident, l’homme du pape. N’était-ce pas le complot pour anéantir leur passé et leur avenir dans une dépendance repoussée depuis des siècles ?

Il fallait calmer par des sûretés complètes cette jalousie de la race. Les créer n’a pas été le moindre effort du catholicisme depuis un demi-siècle. Dans chaque nation d’Orient, les catholiques indigènes ne voulaient plus subir la juridiction civile du patriarche étranger à leur culte ; ils ne pouvaient constituer un groupe distinct s’ils n’obtenaient, eux aussi, de la Porte, un chef religieux, à qui elle déléguât son autorité ; ils ne pouvaient choisir ce chef si la Papauté ne le reconnaissait. La Papauté comprit que cet établissement de patriarches catholiques en face