peu au courant des subtilités dialectiques, ne manque pas de comprendre qu’il s’agit d’étendre la propriété privée, et non de la supprimer. En 1896, on parlait d’abolir le régime capitaliste ; on ne vise plus qu’à préparer « la transformation en propriété sociale des moyens de production, de transport et de crédit, déjà arrachés à leurs propriétaires individuels par la féodalité capitaliste. » C’est, sans doute, remarque M. G. Sorel, des grands magasins dont il est question, car comment cela pourrait-il s’appliquer aux banques, aux chemins de fer, aux raffineries de sucre, que M. Millerand, en 1896, signalait comme mûres pour la socialisation ?
M. Millerand, il est vrai, est un indépendant qui se pique fort peu de théories. Son entrée dans le ministère Waldeck-Rousseau Galliffet ne marque pas moins un pas énorme dans la voie de l’abandon de l’ancienne tactique. L’Union socialiste à la Chambre a été aussitôt disloquée, et le parti tout entier menacé d’une scission à laquelle un prochain congrès unitaire est censé devoir mettre fin.
La doctrine marxiste enseigne qu’en face de la démocratie socialiste, tous les partis bourgeois ne forment qu’une masse réactionnaire. Mais, dans les luttes que se livrent entre elles les différentes couches de la bourgeoisie, Marx et Engels admettaient, conseillaient même l’alliance avec les partis avancés. Rien d’hétérodoxe, rien de choquant à ce que les socialistes belges s’unissent aux libéraux, voire aux démocrates chrétiens, pour obtenir le suffrage universel. Le pacte de Bordeaux, le traité conclu avec les monarchistes, pour administrer la ville contre les républicains opportunistes, est déjà plus suspect. M. de Vollmar, allié des catholiques contre les libéraux, aux dernières élections bavaroises, a soulevé quelques polémiques dans le parti. Et il ne s’agit encore ici que d’un compromis transitoire, d’une action parallèle avec d’autres partis d’opposition, commandée par les circonstances, et non pas d’un programme commun[1]. Mais avec M. Millerand, c’est une collaboration, une participation directe à l’exercice du pouvoir, pour le maintien, la consolidation de la République bourgeoise, approuvée par une fraction des socialistes français, comme sauvegarde des conquêtes démocratiques.
- ↑ Dans son excellent livre Socialisme et problèmes sociaux, (Alcan 1899) M. E. d’Eichthal donne de nombreux exemples de ces contradictions entre le socialisme scientifique et le socialisme électoral.