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d’aujourd’hui si on en juge par la quantité des arrestations déjà opérées, sans parler de celles qui restent en souffrance, serait plus redoutable encore. Une quarantaine de conspirateurs sont sous les verrous, dont un seul, M. Paul Déroulède, jouit d’une réelle notoriété. Les autres en ont une moindre, et quelques-uns même n’en ont aucune. Dans le nombre se trouvent des représentans des princes exilés, le duc d’Orléans et le prince Victor Napoléon. L’un des plus intelligens, M. Georges Thiébaud, s’est montré aussi le plus agile, et a échappé, jusqu’ici, aux mains de la police. Mais de quels élémens se compose ce complot, ou ce prétendu complot ? On n’en sait rien. Depuis une quinzaine de jours qu’il est découvert, on n’est pas, à cet égard, plus avancé, ni mieux éclairé qu’à la première heure. En admettant qu’il y ait des conspirateurs, le gouvernement est le premier à subir la contagion de leur esprit, et il imite leurs procédés avec tant de perfection que, si l’on veut absolument qu’il y ait un complot, nous avons le droit de dire que c’est le sien. Toute sa conduite en porte le caractère. Un beau matin, il procède à un certain nombre d’arrestations, sans que rien nous ait préparés à cette surprise. Mais soit ! Si l’action gouvernementale avait été annoncée et éventée d’avance, elle n’aurait évidemment pas pu s’exercer utilement, et peut-être même faut-il reprocher au ministère de n’avoir pas mis, sinon assez de mystère, du moins assez de promptitude dans son exécution, puisqu’elle n’a pas été complètement efficace.

Nous admettons le secret avant, mais non pas après. Il est inadmissible qu’on nous laisse pendant de longues semaines dans l’ignorance la plus absolue des motifs vrais et sérieux — à supposer qu’il y en ait de tels — qui ont motivé la brusque intervention du gouvernement et qui la légitiment. Certes, l’opinion est aujourd’hui étrangement engourdie. Jamais, à coup sûr, elle n’a été moins exigeante. Si le fait qui vient de se produire avait eu lieu il y a trente ans, à la fin de l’Empire, les grands libéraux de cette époque, dont les héritiers dégénérés sont actuellement aux affaires, n’auraient eu de cesse, ni de repos, avant d’avoir arraché au gouvernement les explications nécessaires. On ne lui aurait pas demandé de justifier l’accusation, puisque cela ne peut se faire avec toutes les garanties indispensables que devant les tribunaux ; mais on aurait voulu savoir de quoi il s’agissait, et on ne se serait pas contenté d’apprendre qu’il y avait un complot. Un complot, c’est bientôt dit ! mais ce n’est pas dire grand’chose, et la nature de ce complot aurait besoin d’être sommairement indiquée. Sinon, il dépendra d’un ministère quelconque — et Dieu sait, dans la