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a calculé qu’en Capitanate, si l’on rapprochait le chiffre des travailleurs actifs et le total des impôts, à chaque travailleur actif correspondrait une somme de 130 francs d’impôts, soit la valeur de plus de cent journées de travail ; et M. le député Fortunato a pu établir par des statistiques détaillées, que les seuls impôts communaux, à l’heure présente, dans l’Italie méridionale, dépassent de beaucoup l’ensemble des contributions exigées par l’Etat, par les provinces et par les communes avant 1860. De là la difficulté singulière qu’a toujours rencontrée le gouvernement italien lorsqu’il a voulu se rendre un compte exact de la situation économique et industrielle des Pouilles : l’inoffensif statisticien qui survient avec des allures d’enquêteur est parfois évincé, plus souvent dupé, comme un espion du fisc ; et le premier mouvement du propriétaire ou du patron auquel on demande son chiffre d’affaires est un mouvement de défiance, qui expire en un murmure ou se termine en une bourrade.

Cependant les Pouilles se tournaient vers l’Etat et sollicitaient une rançon pour les sacrifices qu’il exigeait, un palliatif pour les misères qu’il imposait. Elles lui demandaient des eaux abondantes, un air assaini, des chemins de fer.

« La Pouille est assoiffée d’eau et de justice : » ainsi parlait M. Imbriani dans l’une de ses dernières affiches électorales. On raconte que ce député, si cruellement arrêté par la maladie dans sa carrière de bravoure, écrivit dans sa jeunesse un pamphlet contre le vin, et que, dans ses propriétés de Calabre, il n’a jamais voulu donner asile aux plants de la vigne : comment n’aurait-il pas rêvé de renouveler la face des Pouilles, non moins insolentes par leurs vignobles qu’insultées par la sécheresse ? Mais cette sécheresse a jusqu’ici survécu aux élans des tribuns, comme aux plans des ingénieurs ; et pour obtenir l’introuvable breuvage, c’est dans les ânes, et dans eux seuls, que les Pouilles mettent leur confiance — petits ânes porteurs de petits tonneaux, qu’on voit, en beaucoup de localités des Pouilles, se faufiler, d’un pas sûr et discret, à travers les plus humbles rues, et répartir entre les maisons une eau parcimonieuse et d’origine souvent lointaine.

On poursuit les requêtes à l’Etat, pour qu’il redresse la nature marâtre ; et le littoral des Pouilles, à défaut d’eau, lui demande du moins un air assaini. De-çà, de-là, sur cette côte, des marais pestilentiels subsistent, comme pour marquer les territoires dont