Page:Revue des Deux Mondes - 1899 - tome 155.djvu/199

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

leur gloire comme s’ils se tissaient un suaire, pour s’y ensevelir et pour achever d’y mourir ; Lecce, tout au contraire, se berce pieusement dans la mémoire de son passé, sans jamais s’y assoupir. Avec la force de résistance qui n’appartient qu’à une élite de villes, elle a su, sans routine ridicule, sans archaïsme suranné, garder quelque chose de ses mœurs, de ses traditions, de son indépendance municipale ; et la terre d’Otrante elle-même, à laquelle elle fait un bien curieux portique avec ses architectures de rococo, est la région des Pouilles qu’a le mieux respectée l’invasion perturbatrice des nouveautés.

Si l’on range sous la rubrique de communes rurales toutes les localités qui comptent moins de 6 000 habitans, et sous celle de communes urbaines toutes les petites villes qui dépassent ce chiffre, on observe avec surprise que, sur 100 habitans de la province de Bari, 12 seulement peuvent être qualifiés de ruraux, et 40 sur 100 dans la province de Foggia ; en revanche, dans celle de Lecce, chaque centaine d’habitans se décompose en 54 ruraux et 46 citadins : c’est à M. le baron Angeloni, l’intelligent et minutieux auteur de l’enquête agraire de 1884, que nous empruntons ces chiffres. Les très grosses bourgades, servant de dortoirs aux ouvriers agricoles et aux petits cultivateurs, désertes aux heures de jour, ronflantes aux heures de nuit, et jamais vivantes, sont plus rares dans la terre d’Otrante que dans les provinces contiguës ; dans une ville comme Lecce, par exemple, il n’y a presque pas de paysans ; les campagnes environnantes retiennent un personnel sédentaire. Beaucoup d’exploitations rurales sont des noyaux de population. De bizarres constructions appelées truddwi, immémoriales de date, assez analogues aux nouraghes de la Sardaigne, abritent, tantôt temporairement, tantôt continûment, les journaliers agricoles et leurs familles ; ce sont de formidables amas de pierre, en forme conique, dans l’intérieur desquels sont aménagées des chambres. L’habitation, souvent, définit l’habitant : on s’en rend compte en comparant ces monumens d’une architecture rudimentaire et robuste, monumens faits pour durer, avec les appentis provisoires et misérables où se tassent, en d’autres régions, les travailleurs des campagnes. L’équitable métayage, les très longs fermages, survivance de l’ancienne coutume de l’emphytéose, demeurent fréquens dans la province de Lecce ; on n’y connaît pas encore certains types nouveaux de pactes agraires, oppresseurs pour le paysan, et qui, mettant en