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le premier était une description du temple d’Auguste et de Livie, le second avait pour titre Une Noce ancienne. Mais plus caractéristique encore est son étude en prose : elle nous montre que, dès 1839, le jeune poète avait conscience de l’idéal littéraire auquel il devait rester fidèle jusqu’à la fin de sa vie.

Ce n’est, à vrai dire, qu’une esquisse, mais déjà le jugement est formé ; déjà Ponsard sait ce que doit et ce que ne doit pas être la poésie telle qu’il la comprend.


Il y a en premier lieu quelque chose de mort à tout jamais : c’est la friperie du langage littéraire de l’Empire... Quant au franc vers cornélien et à la sentimentale musique de Racine, c’est bien différent. Voilà de la vraie et belle poésie. Si elle survit glorieusement aux ruines du système classique c’est par cela même qu’elle n’était pas dans les conditions serviles de cette prétendue noble phraséologie, c’est qu’elle puisait sa noblesse dans l’idée et non pas dans les expressions distinguées alignées par un chevillage de convention.

Mais ces grands poètes ont-ils concentré toutes les formes du beau dans leur horizon ? Ne reste-t-il rien en dehors qui mérite une exploration ?... En ce sens, l’école de Victor Hugo a rendu à l’art d’importans services. Je ne parle pas des plats imitateurs qui sont toujours à la queue de toute création puissante, de ces médiocres reproducteurs de la forme extérieure, déjà plus vieillis que les classiques dont ils se moquent sans intelligence ; je ne parle que des maîtres de l’école.

Sans doute on est allé trop loin : mais les excès sont inséparables de l’ardeur d’une révolution. Il fallait un coup de vigueur exagéré pour secouer les esprits engourdis. L’ébranlement a été donné : puis viendra la réaction, si elle n’est déjà venue ; puis la littérature, longtemps oscillante, se reposera dans les bienfaits de l’éclectisme.


Le mot d’éclectisme sonne fâcheusement à nos oreilles : mais l’éclectisme tel que l’entendait Ponsard n’avait rien de commun avec une doctrine qui consisterait à rassembler des élémens disparates, empruntés à droite et à gauche. Être « éclectique, » pour le futur auteur de Lucrèce et de Charlotte Corday, cela signifiait avant tout cesser de mépriser les anciens, et notamment les grands poètes de l’école classique ; cela signifiait, en outre, continuer le romantisme en le débarrassant de l’excès des descriptions purement extérieures, en y introduisant une vie plus naturelle et des sentimens plus humains, en le rendant plus conforme à son propre programme, qui consistait à unir la poésie avec la vérité. Et cet « éclectisme, » — Ponsard le dit lui-même — ne doit pas être considéré comme une « réaction, » mais plutôt comme une consolidation, comme un « repos » en territoire conquis.