Page:Revue des Deux Mondes - 1899 - tome 155.djvu/158

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

voisins, aux époques même de liberté, les élections sont toujours ce que le parti au pouvoir veut qu’elles soient.

La candidature de Castelar avait été posée à Valence et à Barcelone. Quelle était l’attitude du gouvernement ? A en croire les journaux ministériels et les officieux, le gouvernement entendait ne rien faire pour empêcher cette élection d’un homme dont, au contraire, il fallait souhaiter la présence aux Cortès. En tenant ce langage, était-on sincère ? Ou jouait-on double jeu ? Ou devons-nous penser que, la distance étant grande de Madrid à Valence et à Barcelone, ces belles résolutions furent contrariées par le zèle indiscret des agens locaux, plus ministériels que les ministres eux-mêmes ? Le fait est que Don Emilio apprit, à la veille du scrutin, qu’il ne pouvait pas être élu à Valence. Le gouverneur avait mandé deux des principaux partisans de sa candidature, leur déclarant tout net qu’il y fallait renoncer. Le gouverneur avait dit simplement qu’il agissait ainsi en vertu du droit de la force, dont il userait par tous les moyens. Aussi Castelar n’espérait-il plus rien lorsqu’il reçut, quelques jours après, la nouvelle qu’il avait passé, avec la liste républicaine, à Barcelone. Je me rappelle la joie dont il fut transporté. Il allait donc pouvoir rentrer en Espagne ! Il reverrait Madrid, le palais du Congreso[1]. De nouveau la carrière s’ouvrait devant lui.

C’était le 23 janvier 1876 qu’avait eu lieu l’élection. Le 24 février, il prenait la parole pour la première fois dans les Cortès de la Restauration. Sept années avant, presque jour pour jour, il avait abordé la tribune parlementaire. Dans l’intervalle, quels événemens ! Mais, en vérité, parmi tant de péripéties dont la suite forme le long drame vécu durant ces sept années par le peuple espagnol, je n’en vois pas de plus étrange et qui soit plus digne de notre attention que la crise intérieure, la métamorphose de conscience d’où Castelar était sorti transformé, converti pour toujours en un homme de gouvernement, de légalité, lequel demeurait invinciblement attaché à l’idéal de sa vie entière, la République, mais ne la voulait pas autrement que tempérante, rassurante, conservatrice, — au moins pour ses débuts, — et conciliatrice, largement ouverte et indistinctement à tous les Espagnols, et mettait au-dessus, bien au-dessus de la République, la Patrie. Guéri de ses erreurs dangereuses, mais non de ses généreux

  1. On appelle ainsi la Chambre des députés.