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Le dénouement allait venir d’où nul sans doute ne l’attendait ; et le deus ex machina fut, selon l’usage espagnol, un général. Un écrivain qui semble avoir vu de près les choses de ce temps-là, M. A. Houghton, dans un curieux livre : les Origines de la Restauration des Bourbons en Espagne[1], nous a donné des renseignemens précis sur le coup d’Etat du 2 janvier et sur l’homme audacieux qui fut seul à le concevoir, à le préparer et à l’accomplir. Le capitaine-général Pavia, — le même qui avait, quatre mois avant, pacifié l’Andalousie, — était alors gouverneur militaire de Madrid et, comme tous ceux qui n’étaient ni des coquins, ni des aveugles, il s’effrayait pour sa patrie en voyant approcher l’échéance fatale. Il sentait bien que Castelar serait mis en échec, au premier vote, et que, Castelar renversé, c’était la Federal de nouveau maîtresse de l’Espagne, le socialisme partout recommençant ses entreprises ; c’était en un mot l’effroyable anarchie. Et alors, de lui-même, il forma le dessein de sauver son pays en le débarrassant de ces Cortès funestes.

Il parait que le général avait d’abord sondé le président de la République, l’engageant à décréter une prorogation des Cortès à long terme, sinon indéfinie. Il le trouva fort attristé de la tournure que prenaient les événemens et s’attendant lui-même à sa propre défaite, mais décidé à ne point sortir de la légalité. Pavia comprit qu’il se trouvait en face d’une résolution irrévocable, et que cet honnête dictateur — si peu dictateur, en réalité ! — succomberait, victime de sa droiture. Il prit son parti.

Il avait étudié la situation dans tous ses élémens, et politiques et militaires. Il s’adressa aux chefs des divers groupes conservateurs, leur demandant si parmi eux il en était un qui assumât la tâche urgente de sauver le pays ; sur leurs réponses négatives, il les invita à se tenir prêts, pour constituer, à son premier appel, un gouvernement national. Il se chargeait du reste. En conséquence, il employa le mois de décembre à préparer minutieusement son coup d’Etat, organisant toute chose avec un soin et un art consommés. Il avait distribué, dans les casernes et sur les points stratégiques, des munitions, des vivres, des ambulances. A un signal donné, la garnison, formée en six colonnes, devait se lancer à travers Madrid, au pas de course, écrasant toute velléité de résistance, et s’emparer des édifices publics, des gares,

  1. Un volume, in-8o, Paris, 1890. Plon.