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au sang-froid, ils calculaient ce que la conquête de cette île leur coûterait de sang, d’argent, de mécomptes. Car il y avait à Cuba un parti de l’indépendance qui poursuivrait contre les nouveaux maîtres la lutte à outrance qu’il soutenait contre les anciens ; on se serait donné une Irlande ! Et comme, dans les mobiles compliqués de nos actes, les intérêts se dissimulent, quand ils peuvent, sous le décor spécieux des sentimens, la grande nation américaine manifestait une sorte de pudeur à profiter du désarroi où se trouvait la malheureuse Espagne. Une lettre de Sumner le laissait bien voir : « La République espagnole et Emilio Castelar, disait-il, doivent attendre de nous autre chose que des menaces de guerre. » Un arrangement fut conclu qui, tout en donnant aux Etats-Unis les réparations légitimes, sauvegardait la dignité de l’Espagne et les principes du droit des gens. Ce résultat fit grand honneur à Castelar, et, dans la suite, un ministre des Affaires étrangères du roi Alphonse XII, M. Calderon Collantes, a pu lui rendre devant l’assemblée des Cortès ce témoignage [[qu’il avait mérité la reconnaissance des hommes de tous les partis, en réglant comme il avait su le faire le conflit du Virginius. »


II

Mais l’ennemi le plus à craindre restait debout, et se dressait devant Castelar, lui barrant le chemin ; cet ennemi, cet obstacle, c’étaient les Cortès, les ingouvernables Cortès constituantes, incapables de rien constituer que l’anarchie. Pitoyable assemblée, qui ne représentait pas plus le vrai pays que ne le représentaient les songe-creux, les prédicateurs de morale révolutionnaire et les hommes de coups de main, les seuls, ou à peu près, qui eussent participé à l’élection de cette Chambre néfaste. Ces étranges Cortès ne comptaient pas en tout dix monarchistes, et elles étaient, avec leur apparente homogénéité, l’assemblée la plus incohérente que l’on eût vue. La droite, formée du groupe des républicains sensés, bien peu nombreux, était l’unique fraction parlementaire sur laquelle Castelar pût compter. Malheureusement la droite n’était par elle-même qu’une minorité ; elle ne pouvait rien sans l’appui du centre, où dominaient les partisans de M. Salmeron. En réalité, celui-ci tenait le sort du gouvernement en sa main. Il lui suffisait d’évoluer, avec ses amis, de droite à gauche pour déplacer la majorité. Toute la situation reposait sur l’accord de