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J’enverrai immédiatement ma démission et celle du ministère au président de cette Chambre. Si je n’obtiens pas les moyens que je réclame, je ne reste pas une heure au pouvoir...


L’assemblée vota les autorisations, malgré M. Pi y Margall, et, quelques jours après, se prorogea pour trois mois et demi, jusqu’au 2 janvier.

C’était, en somme, la dictature, — la dictature de la raison éloquente, — que Castelar, comme un nouveau Périclès, semblait exercer sur cette Espagne séduite par la magie de sa parole. Les pouvoirs extraordinaires qu’il venait d’obtenir n’avaient en apparence d’autres limites que sa volonté. Mais on connaissait sa modération, sa loyauté incorruptible, et ce respect de la loi, nouveauté grande en un pays où la légalité n’était qu’un mot sonore. On sentait bien que cet honnête homme rencontrerait dans les scrupules de sa conscience la borne sacrée qu’il ne franchirait pas. Cependant quelle métamorphose ! Ironie des événemens qui livraient l’Espagne mise en état de siège à cet apôtre de toutes les libertés ! Celui qui allait sévir contre la presse hostile était le journaliste naguère si durement frappé. Les fameux « droits individuels » étaient suspendus par celui-là même qui les avait prônés avec tant d’ardeur ! Et c’était l’adversaire du recrutement forcé qui allait appeler cent mille jeunes gens sous les drapeaux ; c’était un littérateur, un universitaire, un poète amoureux de beau langage et d’idéologie, qui assumait la tâche de refaire en quelques semaines une armée.

Car il n’y en avait plus ! Sous l’action dissolvante des généraux républicains qui pactisaient avec les chefs de l’émeute et des comités révolutionnaires qui prêchaient au soldat « la sainte indiscipline, » l’armée espagnole fondait comme la neige au soleil. Les troupes régulières étaient démoralisées par l’exemple corrupteur des volontaires et des corps francs. Le mal était immense, surtout dans le Midi. Les 15 000 hommes massés en Catalogne n’étaient plus guère que des mutins livrés aux pires excès. Ils se coiffaient du bonnet phrygien, comme la populace cantonaliste, vendaient leurs chevaux et leurs armes à l’ennemi, et massacraient les officiers ou leur arrachaient les insignes de leurs grades, en hurlant : « A bas les galons, à bas les étoiles ! » Ils maraudaient à travers les villages, s’amusant à tirer sur les bestiaux. C’était au point que, dans mainte rencontre, les populations craignaient plus les soldats du gouvernement que ceux de Don