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A qui le fera-t-on croire ? En tout cas, ce n’est pas à ceux qui ont suivi, depuis quelques années, l’évolution de l’alliance et qui en connaissent les tendances actuelles, au moins du côté russe. L’alliance, en effet, est assez forte et assez souple pour s’appliquer, suivant les circonstances, à des intérêts variables et, fidèle à ses principes fondamentaux, elle subit dans la pratique les modifications auxquelles n’échappe rien de ce qui vit. Tout le monde sait, et il est difficile de croire qu’on l’ignore seulement en Angleterre, que rien n’est plus souhaité à Saint-Pétersbourg qu’une modification, dans un sens plus bienveillant, des rapports de la France et de l’Allemagne. Le Standard se trompe étrangement lorsqu’il croit, ou lorsqu’il dit que les conseillers de l’empereur Nicolas ont trouvé une saveur amère aux nouvelles qui venaient de Bergen : il est plus probable qu’ils en ont été flattés, et qu’ils y ont vu un succès pour leur politique. Peut-être se sont-ils exagéré l’importance de l’incident, mais certainement ils l’ont-vu avec satisfaction. Si l’un des deux alliés avait éprouvé quelquefois une très légère susceptibilité au sujet des coquetteries que l’autre échangeait avec l’Allemagne, c’est l’allié de Paris et non pas celui de Saint-Pétersbourg qui aurait ressenti cette impression. On croit en Russie que, l’Allemagne étant parfaitement résolue à ne pas faire la guerre à la France et la France n’ayant aucune intention de faire actuellement la guerre à l’Allemagne, les circonstances générales de l’Europe devraient amener entre ces deux pays un rapprochement de raison. C’est dans ce sens que s’emploie sur nous l’influence russe, et il suffit de regarder faire l’empereur Guillaume pour se rendre compte du prix qu’il attacherait lui-même à un changement aussi considérable dans l’état du monde. Il a adopté à notre égard une attitude très différente de celle que le prince de Bismarck affectait dans les dernières années de son gouvernement. Ses allures personnelles sont à notre égard pleines de courtoisie, et s’il ne supportait pas, lui comme nous, le poids héréditaire d’un passé très lourd, rien évidemment n’empêcherait ou n’ajournerait la réalisation du désir qu’on éprouve à Saint-Pétersbourg, et qu’on partage à Berlin. Combien de temps cette situation durera-t-elle entre la France et l’Allemagne, et quel en sera le dénouement, nul ne le sait ; mais on peut aujourd’hui parler de ces éventualités avec une liberté d’esprit et un sang-froid qui, naguère encore, étaient impossibles. Nous avons lu depuis quelque temps, dans nos journaux, des articles qui auraient provoqué jadis des protestations indignées, et qui aujourd’hui soulèvent seulement des objections. Nous n’avons pas besoin d’ajouter