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a quelque défaut, c’est qu’il est très long dans tout ce qu’il fait ; mais sachant l’usage du petit tableau que je l’ai prié de me faire, je suis persuadé qu’il ne perdra pas de temps à me satisfaire. »

Trois ans après, c’est Watteau lui-même qui, ayant vu chez Crozat les pastels de la Rosalba, fait écrire à celle-ci par son ami le paysagiste Vleughels. « Il y a ici, écrit Vleughels, un excellent homme nommé M. Watteau dont peut-être vous avez entendu parler. Il souhaiterait bien vous connaître, mais comme cela ne se peut, il voudrait avoir un petit morceau de vous : il vous en enverrait un de sa main. Je ne doute pas que M. Crozat ne vous ait parlé de cet habile homme. Non seulement il vous enverrait quelque chose de lui, mais, si cela ne se pouvait, l’argent se fait tenir facilement. Ainsi vous n’auriez qu’à choisir. Il est mon ami, nous demeurons ensemble. Il m’a prié pour vous de ses très humbles respects. Il attend que vous me fassiez une réponse favorable pour lui. »

Crozat, cependant, ne cessait pas de songer aux moyens de faire venir la Rosalba à Paris. « Il est bien vrai que ces sortes de voyages sont fatigans pour une dame, lui écrivait-il le 6 janvier 1719 ; mais nous en voyons plusieurs qui vont et viennent de Paris en Italie sans en être incommodées. Ainsi, Mademoiselle, vous qui n’avez rien de la faiblesse des femmes, et qui valez mieux que cent hommes, je vous exhorte à faire ce voyage dès cette année, et à profiter de la belle saison du printemps, en commençant par la route de Lorette, pour vous rendre dans la semaine sainte à Rome, ville qui mérite bien que vous la voyiez, afin qu’après Pâques vous puissiez continuer votre voyage par Florence, pour vous embarquer à Livourne à destination de Marseille, supposé que vous ne craigniez point la mer. C’est la voie la plus douce et la plus commode. Je vous donnerai des amis à Marseille, qui vous recevront bien. Il y a un carrosse, qu’on appelle la diligence, qui vous mènera à Lyon ; de Lyon vous trouverez une autre diligence qui vous mènera, en cinq jours, en cette ville, et cela sans beaucoup de dépense. Vous trouverez chez moi un petit appartement et des voitures pour vous bien promener à Paris et dans les environs, ce qui ne vous coûtera rien, car je me trouverai bien payé d’avoir le plaisir de vous avoir chez moi. Quoique je sois garçon, vous ne laisserez pas de trouver dans ma maison Mme de La Fosse, veuve d’un très fameux et illustre peintre, et Mlle d’Argenon, sa nièce, qui est une demoiselle fort aimable, et qui possède la musique et chante comme un ange. Pour lui faire un peu votre cour, je vous exhorte à lui apporter de la bonne musique ; et vous verrez qu’elle sera bien exécutée chez moi... A l’égard de vos