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d’une longue paix au cours de laquelle nous avons perdu de vue la nécessité d’unir en faisceau toutes nos énergies ? Est-ce le souvenir de la défaite, privant les âmes de cet enthousiasme qui est un admirable instrument de fusion ? Est-ce la crise économique qui, augmentant les difficultés de la vie, diminuant les satisfactions, aigrit les cœurs ? Est-ce l’influence d’un gouvernement aussi dépourvu d’habileté politique que de générosité ? Il y a sans doute à tenir compte de toutes ces causes. Les responsabilités sont multiples, et tout le monde a été coupable, puisque quelques-uns des plus funestes exemples sont partis de haut. C’est bien en effet une élite de penseurs, d’écrivains, de savans, qui, pendant de longues années, a donné à la jeunesse l’exemple du scepticisme, de l’indifférence, du désintéressement de la chose publique. C’est elle qui, en contraste avec le calme dont la masse populaire ne s’est pas départie, donne aujourd’hui à la jeunesse l’exemple de l’affolement. Cette situation dicte à l’Université son devoir. Qu’elle travaille à resserrer le lien national ! Elle rendra ainsi service au pays, et, en retour, elle recevra de l’assentiment public la force dont elle a besoin pour triompher elle-même d’un malaise passager. Qu’elle ne laisse pas s’accréditer cette idée fausse que l’enseignement de quelques-uns de ses maîtres puisse être un danger pour l’intégrité de l’esprit français ! Et tandis que partout ailleurs, en Angleterre, en Allemagne, en Amérique, l’enseignement contribue à développer, à fortifier, à exalter le sentiment anglais, allemand, américain, que l’Université de France ne s’expose pas à mériter quelque jour le reproche d’avoir préparé des générations de dupes.


RENE DOUMIC.