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Il lui appartient de faire aimer notre passé, et respecter notre tradition ; cela même entre dans la définition de son rôle, puisqu’on ne conçoit pas un enseignement sans une tradition sur laquelle il repose, et puisque le seul moyen qu’on ait encore trouvé pour élever les jeunes générations est de les mettre à l’école des générations précédentes. L’Université aura bien mérité de nous tous, le jour où elle nous aura appris à vivre en paix sur le même sol, et à plier des croyances et des facultés différentes au même idéal national.

Pour réaliser cette œuvre d’éducation, est-il nécessaire qu’elle modifie ses méthodes d’enseignement ? En aucune façon. Dire que l’Université doit travailler à faire des Français qui aiment leur pays et ne se haïssent pas entre eux, ce n’est pas lui proposer un programme nouveau, c’est lui rappeler le programme qui a toujours été le sien, en souhaitant seulement qu’elle ne s’en écarte pas et qu’elle s’y attache au contraire plus vigoureusement que jamais. C’est donc que, de même, elle doit rester fidèle aux méthodes d’enseignement qui font son originalité et repousser tous les efforts qu’on fait pour entamer cette originalité ! La raison d’éducation est justement la principale raison pour laquelle il faut tenir à ce que l’enseignement universitaire continue d’avoir pour base la culture classique.

Mettre au premier plan l’explication des auteurs grecs et latins, ne faire entrer qu’en seconde ligne l’étude des écrivains français, et celle de nos écrivains classiques plutôt que celle des modernes, considérer l’étude de l’allemand et de l’anglais comme une étude de langue et non de littérature, telle est la tradition universitaire. Pour la justifier et pour en imposer le maintien, il suffirait de montrer qu’elle seule est compatible avec un idéal national et avec un idéal de tolérance. Pour nous autres Français, remonter aux Romains et aux Grecs, c’est d’abord remonter à nos origines elles-mêmes, et c’est rentrer en possession de nos titres les plus lointains[1], puisque, aussi loin que nous suivions l’histoire de notre génie, nous le trouvons en contact et en rapport avec le génie antique. M. Gaston Paris ne me contredira pas, le représentant le plus autorisé des études médiévales étant

  1. M. Émile Boutroux, professeur de philosophie à la Sorbonne, a exprimé en un beau langage cette nécessité de fortifier le patriotisme par l’enseignement classique : « Il n’y a qu’un lien social réel et indissoluble, c’est ainsi que nous l’ont enseigné les anciens, une âme et une pensée communes. Il faut donc, si nous voulons que notre patrie demeure une réalité vivante, maintenir et perpétuer l’âme de la France. Cette tâche qui incombe à tous est plus spécialement dévolue à l’enseignement classique. Remontant aux origines de notre génie national, il le recrée en quelque sorte continuellement dans les âmes. »