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ce n’était qu’un mot. Consultez en effet quelque lettré à l’ancienne mode, — on en trouve encore — ; il se référera à ce vieux terme d’humanités par lequel on désignait jadis les études classiques et il en développera la signification avec complaisance dans un langage orné. Cultiver l’esprit en le faisant communier avec les formes les plus belles des civilisations abolies, l’élargir en le débarrassant de tout ce qui est relatif à un pays et à un temps, l’élever en le délivrant des soucis intéressés et des préoccupations utilitaires, voilà l’objet des études littéraires, et c’est le moyen de faire des hommes... Aussitôt intervient l’ennemi de la culture classique, et il s’élève âprement contre le paradoxe d’une éducation qui n’est plus en rapport avec les conditions de la vie moderne. Cette éducation pouvait suffire lorsqu’elle s’adressait à un petit nombre de privilégiés dont il s’agissait de faire d’aimables oisifs. Tout a changé dans le monde, et l’heure n’est plus aux dilettantes. Armons les jeunes gens pour la lutte, qui devient tous les jours plus rude, préparons-les en vue de la concurrence, enseignons-leur que, dans une société où les questions économiques priment toutes les autres, le désintéressement est une duperie. Faisons-en des commerçans, des industriels, des colonisateurs, faisons-en des hommes... Le partisan des sports arrive à la rescousse. Le défaut des jeunes générations c’est qu’elles sont anémiques. Elles ont les nerfs malades. De là vient l’impuissance à vouloir, le manque d’énergie, la paresse, le goût pour les fonctions de tout repos. Cessez de les surmener ! Mettez-moi ces garçons-là au grand air. Juchez-les sur des bicyclettes. Entraînez-les. Faites-en des hommes... Voulez-vous une autre interprétation ? En voulez-vous dix autres ? C’est la mode aujourd’hui, entre penseurs d’une certaine catégorie, de déclarer que l’enseignement catholique brise la volonté, marque les individus d’une empreinte ineffaçable et les prépare à la servitude, et qu’un catholique ne saurait donc être un homme... Faire des hommes, cela signifie suivant les uns enseigner Virgile et suivant les autres ne pas l’enseigner, c’est pour quelques-uns organiser des parties de foot-ball et pour d’autres cela consiste à dénigrer le catholicisme. C’est donc que la formule est trop ambitieuse, ou, si l’on veut, qu’elle est trop belle. Cherchons-en une autre, qui soit plus modeste, mais qui veuille dire quelque chose et qui dise bien ce qu’elle veut dire.

Est-il donc impossible de trouver une ou deux idées, précises, concrètes, et consenties de tout le monde, qui, en pénétrant l’enseignement universitaire, le vivifieraient, l’empocheraient d’être abstrait et indifférent, augmenteraient sa prise sur les âmes et lui donneraient