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Il en résulte que nominal aussi est notre empire africain ; on voit des disjecta membra, en trois groupes distincts ; il est impossible d’y trouver soit une tête, soit une charpente. Les trois massifs sont complètement isolés l’un de l’autre ; ils ne peuvent se soutenir ; ils ne pourraient communiquer entre eux que de la façon la plus précaire, la plus lente, la plus intermittente.

On l’a bien vu lors de l’incident de Fachoda, ce fut pour nous une cause irrémédiable de faiblesse. Quand la petite colonne de Marchand, ayant passé du bassin de l’Oubanghi dans le bassin du Bahr-el-Ghazal, eut planté notre drapeau sur le haut Nil, elle se trouva aussi perdue, aussi éloignée de toute aide et de toute correspondance avec la mère patrie que si elle eût campé aux antipodes. Cette situation, — quoique nos limites dans la direction de l’est de l’Afrique aient été reportées de dix degrés de latitude en arrière, — peut se représenter demain, ou dans dix ans, ou dans vingt ans. Supposez qu’un jour, dans le Ouadaï ou dans le Borgou, pays dont la possession nous a été attribuée par la convention de 1899, une de nos colonnes soit en danger, il nous sera aussi impossible de la soutenir qu’il l’eût été d’appuyer Marchand à Fachoda. Faire monter des secours ou des munitions, ou des approvisionnemens, à l’est du Tchad par la voie du Congo, de l’Oubanghi ou du Chari, ou bien encore les faire venir du Sénégal, à travers toute l’énorme étendue du Soudan central, en longeant la lisière des possessions anglaises du Sokoto et du Bornou, c’est une impossibilité absolue. Dans le premier cas, il faut faire descendre par mer les troupes de secours à cinq degrés au sud de l’équateur, pour les faire remonter sous les tropiques jusqu’aux 12e, 15e ou 18e degrés nord. Les lenteurs, les frais, la mortalité qu’entraîneraient des expéditions de ce genre dépassent tout calcul ; dans le second cas, de Saint-Louis au Ouadaï ou au Borgou, il faudrait traverser près de quarante degrés de latitude, sur la lisière du désert, et dans le voisinage immédiat des possessions anglaises ou des États protégés de l’Angleterre.

On doit ajouter que, de nos trois massifs du continent africain, celui de l’ouest, le Sénégal-Soudan, et celui du sud et du centre, le Congo-Oubanghi-Baghirmi-Ouadaï, sont ceux qui offrent par eux-mêmes les ressources les plus limitées. Le Congo et l’Oubanghi, contrées tropicales, ne contiennent et ne contiendront jamais que peu de blancs ; ils seront toujours pauvres en articles de ravitaillement et de munition pour des troupes mi-partie