Page:Revue des Deux Mondes - 1899 - tome 154.djvu/899

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

dans lesquelles les neuf dixièmes de la troupe sont empêchés d’utiliser les effets balistiques de leur arme, on amincît les lignes, qu’on les étendît sur un front considérable, de façon à obtenir la somme de feux maxima.

Lauzun prit part à quelques exercices de Vaussieux parce qu’il était de bon ton d’y assister. On devait le voir là comme on le voyait aux courses, à Longchamp, au Cours-la-Reine ou dans les salons de la princesse de Guéménée ; mais, en réalité, il accordait un médiocre intérêt à ces expériences de manœuvres. Il voyageait beaucoup. On pouvait croire qu’il cédait, là encore, au courant du temps, car on se déplaçait déjà facilement à la fin du XVIIIe siècle. Et la mode était précisément, pour les militaires, d’aller en Prusse, voir Frédéric, chercher des modèles, examiner de près ces troupes prussiennes, devenues du jour au lendemain les premières du monde. Guibert, Toulongeon, Custines, Dumouriez, Mirabeau, avaient été ou devaient être de ces voyageurs, partis pour les bords de la Sprée avec l’idée d’y découvrir des secrets qui fussent utiles à leur patrie. Lauzun alla à Berlin pour un tout autre motif. Il avait été en Angleterre pour voir Sarah Bunbury, en Corse pour suivre Mme Chardon, dans le Palatinat pour la baronne de Dalberg, il s’en fut en Prusse pour se rapprocher de la princesse Czartoryska. A Berlin, pour combler le vide des longues heures d’attente, il rédigea un mémoire politique, plusieurs mémoires politiques, sur la situation de la Pologne et sur les relations qui eussent pu, qui eussent dû relier ce pays à la France. En réalité, le sort des Polonais l’intéressait médiocrement ; mais, pour aller retrouver la princesse Czartoryska, c’est-à-dire pour se faire nommer ministre de France à Varsovie, il fallait simuler des aptitudes politiques, feindre du goût pour les questions diplomatiques : c’était la véritable explication des memoranda cités tout à l’heure. Frédéric II, s’il en faut croire Lauzun, se serait laissé prendre au piège, aurait apprécié très haut les capacités d’homme d’Etat du duc, et aurait fait déclarer à Paris qu’il le verrait avec plaisir en qualité de ministre de France à Berlin. Mais Lauzun ne l’entendait pas ainsi. S’il essayait de se faire prendre pour un diplomate, c’était à la condition expresse d’être envoyé à Varsovie ; quant à faire un séjour prolongé dans les déserts du Brandebourg, il s’y refusait absolument. Il regagna donc la France et chercha à reprendre à Paris ce train de prodigalités qui avait jusque-là créé et entretenu sa faveur. Malheureusement,