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Touât ; elle est remise à une date indéterminée. Tout le monde la connaissait, cette expédition ; notre prudence passera pour une reculade aux yeux de ces Sahariens, pour qui la force est tout ; et il me semble que, derrière le dos de nos officiers, les Arabes d’ici ont, en les regardant, d’ironiques sourires.


Le règlement de nos hommes terminé et des cadeaux échangés avec le cheikh Ben-Bou-Djema, qui nous assure d’une voix larmoyante de son éternelle amitié, nous quittons le Mzab et repartons pour Paris.

Et c’est, en sens inverse, le voyage que nous avons fait il y a deux mois ; c’est la rapide remontée vers le Nord ; les panoramas changeans, le soleil moins brillant, les nuits plus fraîches ; deux jours de diligence sur la chebka ; Berriân où chantent les crapauds ; puis la diligence, encore la diligence pendant quatre jours à travers les Hauts-Plateaux et les arbres des montagnes de Djelfa, où des brouillards maintenant estompent les horizons nocturnes, les tristes caravansérails de la route ; une rencontre de troupes et de chameaux dans la nuit ; les gorges de l’Atlas sous la pluie, la pluie, que nous n’avons pas vue depuis trois mois, et dont la mouillure, au sortir du désert, est une sensation délicieuse ; notre arrivée à Alger, dans le froid déjà, vêtus de blanc et casqués de liège, nos autres costumes ayant péri par l’injure du désert ; une rapide pointe à Constantine, où la fièvre me cloue au lit pendant deux jours ; la Méditerranée revue en automne, à travers un rideau de pluie ; enfin Philippeville, où nous nous embarquons pour Marseille sur le Moïse.


Au large, 15 Novembre.

Maintenant, c’est fini : le grand rêve de soleil est terminé. Hier, en un soir très noir d’automne, nous avons quitté la terre fantastique de la lumière sur le petit bateau où nous sommes à cette heure, dans la fumée et dans l’embrun, à revivre nos chauds souvenirs, en contemplant les flots agités, sous la pluie, à la tombée du soir désolé. Chaque tour d’hélice nous emporte un peu plus vers le Nord sur le globe arrondi de la terre, et cette montée incessante se traduit en tristesse. Depuis plusieurs mois, nous avions oublié la pluie fouettante et les grands nuages noirs courant bas dans le ciel triste. Nous les avions même désirés, dans la folie de l’eau que la chaleur et la lumière mettent à l’âme. Mais aujourd’hui