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graisse. Cette obsession est un vrai supplice. Nos rares conversations ne portent plus que sur les bons repas que nous ferons à Ghardaïa et, en attendant, une impatience nous prend d’atteindre Metlili, où le caïd des Chaâmbas, Berazga nous donnera l’hospitalité et nous offrira le meschoui de mouton. Ah ! s’il passait seulement ici un troupeau ! Mais il n’y a rien. C’est le désert, le grand désert vide.

En pleine nuit nous arrivons, au fond d’un oued mort, à Hassi-el-Gâa, où il y a un petit abri, sous un palmier solitaire, et où nous passons une nuit fraîche entre des murs de tombeau badigeonnés de chaux blanche.


24 Octobre.

Toujours la chebka, avec sa riante monotonie des heures fraîches, ses horizons pareils et fatigans, son semis de cailloux noirs sur la terre grise, ses chardons bleuâtres.

Messaoud est à bout ; à peine s’il peut se traîner à notre suite, hennissant désespérément, tendant le cou et, de ses gros yeux souffrans, cherchant le Nord, où sont les fraîches litières et l’eau courante, et qu’il n’atteindra peut-être pas. Toute la troupe est épuisée et le désordre le plus pittoresque a remplacé la belle ordonnance du départ. Le guide a pris mon chameau qui est malade, et je monte le sien, un superbe chameau targui, fauve avec des balsanes blanches, plus haut et plus fier que les autres et sur le dos duquel on éprouve une sensation d’espace et de domination. Le bassour, complètement abandonné, pend lamentablement sur les flancs de la chamelle blanche ; deux cantines accouplées le remplacent ; et Abdallah et les deux sokhrars se sont huchés sur les caisses et les bagages ; incapables de marcher à pied plus longtemps sur les cailloux coupans de la route.


Dans un vallon solitaire, qui sommeille lourdement sous la torpeur de midi, nous faisons halte à l’ombre d’une de ces petites chapelles appelées koubbas par les Arabes, et qui sont les tombeaux de très anciens saints musulmans. Elle est, cette koubba, semblable à toutes les autres, un cube de terre battue, surmonté d’une coupole usée, lézardée, effritée, toute dorée de vieillesse sous l’éternel resplendissement du désert. Mais au dedans c’est un enchantement de fraîcheur et de paix recueillie dans une nuit couleur lilas. D’abord les yeux, aveuglés de soleil, ne distinguent