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Mzab, du grand plateau pierreux, sur lequel, à partir de demain, nous continuerons notre route, trois jours durant, jusqu’à Ghardaïa,

D’une élévation que je gravis avec Bou-Djema, cependant que les chameaux se reposent, je découvre à nos pieds, très bas, un cirque inattendu, très creux ; en le voyant, on a la sensation nette qu’il est au-dessous du niveau de la plaine. C’est une chebka, un fond de lac desséché, où s’allongent des traînées de sel, admirables d’éclat sous le soleil. Comme il arrive toujours dans ces dépressions surchauffées, la lumière met sur les parois abruptes des teintes singulières, surprenantes. C’est un fond de décor de féerie. Les stratifications des murailles mêlent, dans une alternance régulière, les tons foncés et les tons pâles, zébrés des lignes plus noires des cassures, mouchetés par l’ombre des enfoncemens. Et ces murailles colorées font fulgurer davantage les nappes éblouissantes qu’elles enferment.

Très loin, comme furtives, des taches noires courent sur la blancheur du sel. Nous regardons. Ce sont des gazelles, insouciantes et bondissantes, petites bêtes gracieuses de légèreté et de fuite, dont l’apparition et la disparition subites font passer un frisson de vie sur ces horizons morts.

Tout l’après-midi étouffant, les plateaux rocheux, avant-garde de la chebka, alternent avec de larges plaines, où ondulent les vagues de sable. La chaleur pèse lourdement dans l’air immobile. Les bêtes, épuisées des marches forcées de ces derniers jours sur un sol sans cesse croulant, traînent leur marche alanguie. Nous aussi, nous sommes épuisés ; les sokhrars, dont les pieds saignent, se sont hissés sur le dos des chameaux de charge et nous allons ainsi, lentement, silencieusement, à travers le désert sans limites.

Le crépuscule descend sur les étendues vides ; le ciel passe aux rouges, aux cuivres, aux orangés, aux ors verts, aux bleus laiteux des belles nuits claires, et la lune ronde, énorme, rutilante, s’élève lentement derrière les dunes.

9 heures du soir ! Voilà onze heures que nous sommes en selle, anéantis, somnolens de notre marche saccadée dans les terrains mouvans. Quand arriverons-nous à l’étape ? Dans la clarté de la lune nous ne voyons toujours rien que les sables argentés de micas étincelans.

Nous voici en bas, dans la large vallée de l’oued desséché qui passe à Hassi-el-Hadadra, cheminant sur un sol parsemé de petites dunes entre de monotones murailles.