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Dans ce désert de pierres, nous allons lourdement, dans une aveuglante réverbération. Les pas de nos chameaux résonnent sur le sol dur, et la voix d’Abdallah qui chante éveille des échos, qui dormaient là, dans l’espace vide et profond.

Quand Abdallah a fini de chanter, il se plaint des fatigues du voyage. Les Arabes, si capables à un moment donné d’un énergique effort, sont naturellement paresseux. Et puis Abdallah a une autre raison de gémir. Son cheval est malade ; le pauvre Messaoud, si vaillant naguère quand il caracolait à Ghardaïa, se traîne péniblement, épuisé par la marche, la chaleur et le manque d’eau ; et nous désespérons de le ramener au Mzab.

Pendant que nous déjeunons de quelques dattes et d’un verre d’eau atrocement tiède, une troupe de gazelles débouche au loin. L’instinct chasseur et pillard, qui dort en tout Arabe, fait briller les yeux de Bou-Djema, et il me demande la permission de se mettre en chasse. Je veux bien : la piste est suffisamment tracée, et il promet d’ailleurs de nous rejoindre bientôt. Nous le regardons s’éloigner, sur son dromadaire étrangement grand.

Depuis longtemps, nous marchons à demi-sommeillant dans la lourde chaleur, et le guide n’a point reparu. Abdallah est inquiet ; ni lui ni les Sokhrars ne connaissent le chemin, et nous avons à traverser des traînées où les traces de sable des caravanes ont été effacées par le vent. Force nous est de nous arrêter, et Abdallah et moi gravissons une haute d’une pour faire des signaux et jeter des appels dans le désert. Enfin nous le voyons, ce Bou-Djema ; il revient épuisé, après avoir longtemps poursuivi les gazelles sans pouvoir les joindre.

Ici le plateau est continuellement coupé par des cordons de dunes, de plus en plus rapprochés ; et c’est bientôt dans des champs de sable que nous continuons notre marche, plus traînante maintenant, à la tombée du crépuscule. L’impression est troublante de ne plus voir la moindre trace sur le sol et d’être entre les mains d’un guide qui n’est pas de ces régions et qui, dans l’obscurité commençante, cherche son chemin.

Aux dernières lueurs du jour, Bou-Djema s’arrête et me fait dire par Abdallah que nous sommes à El-Khoua, notre lieu d’étape désigné pour ce soir. Mais je sais qu’il y a deux puits à El-Khoua.

— Où sont les deux puits ? demandé-je.

Bou-Djema atteste Allah qu’ils n’existent plus. Mensonges ! Il veut tout simplement s’arrêter, n’ayant pas l’habitude de faire de