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ce détail, pour frapper bruyamment sur ses propres bottes et faire ainsi ralentir son concurrent.

Mais si le jockey se contente de « rouler, » c’est-à-dire de chasser la bête en avant par un ensemble de mouvemens des bras et des jambes, exactement adapté à la foulée ; s’il s’abstient d’user de la cravache, la masse, convaincue que le coursier n’a pas donné tout ce qu’il pouvait, se fâche. Le jockey cravachera donc ; il secouera et abîmera inutilement sa monture, même pour arriver troisième ; ce qui ne rapporte rien au propriétaire ; mais les spectateurs qui ont pris le cheval « placé » l’exigent. Il cravachera, fût-il sûr de perdre en agissant ainsi — tandis qu’il aurait encore quelque chance de gagner « les mains basses, » — parce que l’opinion le veut ainsi. Et l’opinion est féroce ; les joueurs feraient guillotiner un homme sans marchander quand ils ont perdu leur argent. Tous les jockeys de marque ont successivement traversé l’ivresse d’une foule enthousiaste qui embrasserait leurs bottes, quand elle a gagné 12 fr. 50, et les bordées de sifflets de cette même foule, quand, déçue dans ses calculs, elle affirme que le quadrupède, porteur de sa mise, a été « tiré. »

Ce public, qui spécule sur le hasard, refuse de croire au hasard ; il a émis une opinion et n’en veut pas démordre. Il est plus agréable en effet de se dire victime du vol d’autrui que de sa propre sottise. Certains sont si persuadés de la fraude, que voir perdre leur cheval est pour eux un motif de plus de le croire excellent ; ils se disent : « C’était un coup ; je le prendrai la prochaine fois. » La supériorité même de tel jockey, ses succès et la faveur qu’ils lui avaient acquise, ont parfois tourné à sa perte dans l’esprit des parieurs. Ceux-ci, ayant décidé qu’il devait gagner toujours, n’hésitaient pas, s’il était battu, à le traiter de coquin.

Si les courses sont très loin d’être, la forêt de Bondy qu’imaginent ceux dont elles ont trompé les rêves, est-ce à dire qu’elles puissent passer pour un centre d’austérité ? Il serait puéril de le prétendre. Si des friponneries supposées n’ont jamais eu lieu, il s’en est fait d’autres, inconnues : les unes, commises par des entraîneurs qui parient sans « inviter » leurs maîtres ; d’autres par des jockeys peu édifians, que les écuries néanmoins conservent, préférant une main habile à une conscience exemplaire. Il y a eu des chevaux engagés sous de faux noms par les éleveurs, et des jumens qui passaient pour « fantasques, » tant qu’elles mangeaient à certains râteliers, mais qui, portant, ensuite de nouvelles couleurs,