Page:Revue des Deux Mondes - 1899 - tome 154.djvu/848

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

je parie contre Bigoudis !... » et dont les uns levaient le pied après la course, lorsqu’ils perdaient, avec une prestesse rare, tandis que les autres, plus solides ou plus avisés, arrivaient à la notoriété, puis à la fortune. L’un d’eux possède pour 12 millions d’immeubles dans le département de la Seine.

Ceux-là ne se bornaient pas aux offres hurlées en plein air par leur commis et aux paris contre tout venant. Membres du « Betting-room » — Salon des courses — ils inspiraient assez de confiance aux gros spéculateurs pour traiter les affaires par 3 000 et 4 000 louis à la fois. C’étaient les agens de change du sport. On les accusait bien de fausser les résultats en achetant les jockeys, lorsque leur intérêt était trop fortement engagé ; mais les vrais amans du jeu savent pardonner quelques tricheries, et les choses allaient doucement leur cours, lorsque, à la suite d’un incident un peu vif, le favori ayant paru trop évidemment arrêté avant le poteau, les parieurs affolés se ruèrent, en une sorte d’émeute, sur le jockey qu’ils invectivaient et frappaient, en même temps que le cheval qui leur semblait complice.

Sur quoi la Société d’Encouragement, ayant elle-même demandé au ministre de l’Intérieur la suppression des paris, le vide se fit incontinent sur les champs de courses et le public devint furieux. Le baron de la Rochette, pour avoir pris l’initiative de la mesure, fut traité de « Polignac du turf, » et l’on répandit des brochures indignées, dont l’une avait pour titre : Le Seize Mai hippique.

Une nouvelle solution intervint : le Pari mutuel, organisé d’abord par un simple arrêté du pouvoir, puis codifié par une loi (1891), qui fonctionne aujourd’hui avec la sérénité d’un service d’État. Les bookmakers avaient bien essayé de reparaître à côté des guichets officiels, dont ils tiraient avantage pour se couvrir ; mais le « marché, » comme on l’appelle, ne traitait plus guère que des affaires « à terme, » dont le règlement était aléatoire. Tel client, qui devait 100 000 francs, obtenait quitus pour 25 000. Les cotes étaient par suite moins favorables qu’avec les paris au comptant, parce qu’il fallait prévoir l’éventualité des mauvais payeurs. Traqués du reste, ce printemps, avec une rigueur nouvelle, les « bocks » n’opèrent plus qu’en se cachant et de façon louche, avec un petit nombre de visages connus.