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Une grande artiste, Karla Buehring, dont le violon est célèbre dans l’Europe entière, rencontre aux bains de mer un propriétaire rural, Otto de Wetterberg, vers qui son cœur s’élance dès leur première rencontre. Lui-même est bientôt conquis à son tour, mais, dans sa réserve exagérée d’honnête homme, il ne laisse pas voir assez tôt son amour à Karla. Celle-ci, se croyant dédaignée, et entraînée par un égarement momentané des sens, devient la proie d’un littérateur décadent et corrompu, qui sait profiter de cette crise suprême dans la vie de la jeune femme. Alors, se sentant indigne de Wetterberg, et bien que ce dernier se montre disposé à oublier le passé, l’artiste se tue, non sans avoir indiqué à son adorateur la voie du vrai bonheur. Il épousera une jeune fille intacte et saine, qui donnait jusque-là des leçons de français pour vivre. Les personnages de ce drame ne sont pas profondément étudiés, mais ils sont réels et vivans : trop vivans peut-être en de certaines scènes. Quelques critiques ont cherché surtout dans cette pièce et ont cru trouver dans la bouche de l’héroïne l’expression des idées de Mme Marholm sur la destinée de la femme. Son drame nous paraît au contraire une anomalie dans son œuvre, ou plutôt l’exagération inattendue de cette tendance à la sensualité que sa clairvoyance malicieuse et son sens aigu de la réalité tiennent d’ordinaire mieux en bride. L’admiratrice des saines héroïnes rustiques de Gottfried Keller ne peut, au fond du cœur, que blâmer et mépriser un peu Karla Buehring.


Au cours de cette revue rapide des œuvres de Mme Marholm, nous avons cru sentir plus d’une fois une-question impatiente sur les lèvres de notre lecteur. Ces portraits d’écrivains, pensait-il, ces silhouettes féminines, réelles ou imaginaires, forment sans doute une galerie fort intéressante. Mais quel est pourtant l’aspect positif, quels sont les préceptes de cette nouvelle philosophie de la femme, qu’annoncent les admirateurs de Mme Marholm ? Et quel est enfin le type de la femme idéale dont elle rêve l’avènement et le règne ? Problème difficile, dont il faut chercher de son mieux la solution dans l’ensemble des écrits sortis de sa plume, car elle n’a pas pris jusqu’ici la peine d’en résumer les enseignemens épars. La conclusion pratique n’est-elle pas toujours le point délicat dans les systèmes des réformateurs et dans les tentatives des moralistes ?