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tout à fait conséquente avec ces prémisses patriarcales, si l’esprit de son siècle ne l’a pas pénétrée quelque peu à son insu, enfin si ses écrits laissent bien l’impression qu’elle eut l’intention d’éveiller, et sont susceptibles d’opérer les conversions qu’elle a voulu préparer.


II

Si nous avouons tout d’abord que l’œuvre critique de Mme Marholm nous paraît supérieure à son œuvre théorique, cette remarque n’a pas pour objet de déprécier le mérite de cette œuvre, dans son ensemble. Car. — enfans d’une époque critique, pour parler avec Saint-Simon et Comte, — nous reconnaissons pour les guides de notre pensée les critiques historiens, et Lessing, Carlyle, Renan, Taine, ont agi en maîtres sur l’esprit de leur temps. La critique contemporaine analyse, élabore, et maintient dans la voie du progrès les idées ambiantes : c’est la philosophie de l’histoire intellectuelle de l’humanité. Arrêtons-nous donc un instant aux essais critiques de Mme Marholm.

Sa méthode est fort originale, et, dans un certain sens, marque un progrès sur les enquêtes psychologiques les plus minutieuses qui nous aient été données jusqu’ici. Elle s’efforce, nous l’avons dit, d’explorer en leurs plus intimes replis les sentimens, et aussi les sensations dominantes de ceux qu’elle soumet à son scalpel d’anatomiste. Qu’elle soit d’ailleurs portée à exagérer les résultats de cette dissection de la sensibilité, c’est ce qu’il est impossible de nier. Il n’en est pas moins vrai que ses portraits laissent une impression de vérité et de profondeur telle qu’on oublie parfois d’en attribuer la plus grande part à la prodigieuse dextérité du peintre. Son art n’a pas en effet la patiente sincérité, l’honnête objectivité des primitifs qu’elle fait profession d’aimer. Il est plutôt impressionniste, subjectif, et ne prétend qu’à exprimer ses émotions personnelles, à condition d’en traduire les raffinemens les plus exquis, les nuances les plus fugitives. Aussi M. Claude Monet est-il son peintre préféré parmi les modernes, peut-être parce que leurs talens ont un air de parenté frappant.

L’ouvrage qui fit connaître le nom de Mme Marholm au delà du Rhin est intitulé le Livre des Femmes. Les deux éditions, allemande et norvégienne, publiées simultanément, en novembre 1894, furent enlevées avant la fin de cette même année. Succès