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de ravitailler en vivres, à des conditions raisonnables, les pêcheurs de haute mer, exploités jusque-là par des industriels sans scrupule. Elle approvisionne ainsi cinq cents navires, et ajoute à son commerce maritime des distributions de Bibles, dont elle écoule vingt mille exemplaires en une année. Dans toutes ces tentatives, elle soulève naturellement les plus violentes colères chez ceux dont elle trouble le trafic et menace les gains déshonnêtes ; elle court de véritables dangers qui ne sauraient refroidir son zèle. Impossible, on le voit, de joindre une activité plus intrépide à un sens plus juste des nécessités économiques et morales du temps présent.

Quelles réflexions inspire cependant à Mme Marholm le spectacle de ce dévouement et de ces luttes. Ces efforts lui paraissent peu en proportion avec leurs résultats. Ils sont perdus parce qu’ils demeurent isolés. Pour porter des fruits durables, ils devraient être exécutés d’une manière impersonnelle, et cependant avec la même chaleur d’âme. En un mot, un ordre de femmes est seul capable de remplir cette tâche ; il faut que les morts soient aussitôt remplacés par des ouvriers nouveaux dans le champ du Seigneur. Le secours isolé et temporaire demeure inutile, et même démoralisant. Sous une direction ferme et suivie, une femme comme la comtesse Schimmelmann aurait accompli des miracles. Elle n’a laissé qu’un grand exemple, et la trace de son activité s’est effacée aussi vite que le sillage de son bateau sur les flots de la mer du Nord.

Dans les dernières pages qu’elle a livrées à la publicité, Mme Marholm en vient même à concevoir, pour les femmes qui demeurent en dehors du mariage, un projet d’action grandiose. Il s’agirait de constituer d’immenses associations de sœurs, chargées d’assurer à leurs membres la mission maternelle qui ne doit jamais faire défaut à la femme. Ces filles élèveraient des enfans abandonnés et, tout d’abord, ceux de ces infortunées filles-mères, sur lesquelles s’étendait jadis la protection de la Vierge, et que le protestantisme a jetées dans le désespoir et dans le crime. Ramifiées en d’innombrables succursales, ces associations soigneraient les malades, élèveraient les jeunes filles, fonderaient des ateliers pour les travailleurs inoccupés. Leurs membres seraient sévères vis-à-vis d’elles-mêmes, et indulgentes à autrui, n’imposeraient à personne des exercices religieux obligatoires, et se sentiraient « liées au célibat par leurs occupations charitables. »