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n’a rien à faire... et les hommes ne sont pas de bois, comme semble l’admettre Stuart Mill, pour qui la relation idéale entre les deux sexes consiste à entretenir des conversations élevées avec une femme. »

Ces lignes ironiques résument la tentative de réaction de Mme Marholm et nous offrent les mots d’ordre de sa croisade contre des doctrines dont l’outrance choquante pourra servir d’excuse aux exagérations inverses que nous rencontrerons dans son œuvre. Cette œuvre a conquis en effet, depuis quelques années, une place fort en vue dans la littérature morale de l’Allemagne ; car, ainsi que nous l’avons dit, c’est surtout pour ce pays que l’auteur a pris la plume, bien que les excès qu’elle réprouve y soient demeurés moins choquans que dans le Nord.

Polémiste ardente et critique impitoyable. Mme Marholm a soulevé bien des colères. Les femmes engagées dans la lutte sont demeurées stupéfaites de voir une des leurs, champion redoutable, que tout désignait pour combattre à leurs côtés, tourner sa vaillance contre ses sœurs, et passer avec armes et bagages dans le camp masculin. « Trahison ! » tel fut le cri qui retentit de toutes parts sur les pas de la transfuge. Mme Minna Cauer, la femme du monde raffinée, l’active fondatrice de tant d’œuvres sociales, lui opposa le souvenir de Rachel de Varnhagen. « Qu’aurait pensé cette âme d’élite des théories d’une Laura Marholm, qui ne laisse subsister, dans la vie de la femme, d’autre mobile que la sensualité[1]. » « De toutes les aspirations naturelles à l’humanité, dit l’apôtre lettrée du marxisme, Mme Lily Braun, cette femme extrait, par une sorte de distillation, le contenu sensuel, sans mélange, et nous montre ses héroïnes occupées à la seule recherche des sensations de cet ordre[2]. » Et, à son tour, une autre démocrate. Mme Ria Classen : « Les livres précieux et affectés de Mme Laura Marholm visent si fort à côté du but, qu’on ne peut guère la prendre au sérieux, malgré ses succès dans le monde masculin[3]. » L’amertume de ce dernier trait n’est que trop justifiée, car non seulement la critique masculine a préparé un accueil favorable à l’œuvre hardie de Mme Marholm, mais elle l’a saluée parfois comme une nouvelle philosophie de la femme,

  1. Die Frau im neunzehnten Jahrhundert. Berlin, 1898.
  2. Die Neue Frau in der Dichtung. Stuttgart, 1897.
  3. Ein Frauendrama und eine Frauenphilosophie. Neue Zeit, 1895.