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coupe et sans mélange ce vin capiteux qu’il boit à longs traits[1]... »

Castelar, redevenu simple député, pouvait librement faire connaître son opinion touchant la marche des affaires, et ses déclarations, la politique nouvelle, si résolue, si franche, dont il apportait aux Cortès l’énergique programme, formaient le plus saisissant contraste avec l’inaction et l’ambiguïté que M. Pi y Margall avait l’air d’ériger en système. Don Emilio arrivait, dans sa vie, à l’un de ces tournans où la route s’oriente vers des horizons tout nouveaux. A la lueur de l’incendie qui dévorait l’Espagne, ses yeux se dessillaient. Il voyait ses chères utopies s’évanouir comme un mirage ; la réalité lui apparaissait. Sa pensée subissait une métamorphose. De ce travail intime, de cette élaboration progressive sortait un autre Castelar. Sous le poète, sous le tribun, perçait l’homme d’Etat. Il se révéla, dans un débat qui fut suscité, aux Cortès, par une interpellation de M. Romero Robledo. Il prononça, en deux séances, un discours, où le programme de sa présidence est déjà tout entier. Il y déroule la politique qu’il suivra lorsqu’il aura le pouvoir. La voilà en ses articles essentiels : rétablissement de la discipline dans l’armée par l’application du code militaire, réorganisation du corps de l’artillerie, attribution des commandemens aux généraux des anciens partis, et par-dessus tout, un gouvernement ferme, agissant, impitoyable au désordre, enfin une république vraiment nationale, ouverte à tous les hommes de bonne volonté.

C’était dans les séances des 8 et 10 juillet qu’il traçait ce plan de la seule politique capable de sauver l’Espagne et le régime républicain. Le lendemain, le bruit se répandait dans Madrid que d’épouvantables massacres avaient eu lieu à Alcoy, cité industrielle, où les prédications de l’Internationale rencontraient un terrain propice. La populace, soulevée par les meneurs, avait envahi l’hôtel de ville, faisant prisonniers le maire, le conseil municipal, une compagnie de gendarmes. Il y avait eu de sauvages cruautés. Les captifs étaient dépouillés de leurs vêtemens, traînés un à un sur le balcon et jetés par-dessus la balustrade à la foule hurlante qui les mettait en pièces. Une des victimes fut plongée dans un bain de pétrole où l’on mit le feu. Quant à l’officier de gendarmerie, sa tête, vidée de sa cervelle et emmanchée

  1. De Republica, lib. I, XLIII.