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d’atermoiemens, de concessions et de capitulations qui menait doucement le pays au fond de l’abîme. On entamait des pourparlers avec les rebelles, on s’évertuait à apaiser ces factieux bien pensans ; on avait pour ces collaborateurs de la veille des indulgences infinies. Quand les nouvelles des provinces étaient par trop graves, et qu’il fallait bien reconnaître, au moins pour la forme, l’effrayant péril, on faisait annoncer par les journaux que « le gouvernement allait prendre des mesures énergiques. » On a publié cela durant des mois. D’ailleurs, tout se passait en discours. La consommation d’éloquence qui s’est faite alors défie tout calcul. Les ministres croyaient avoir agi quand ils avaient parlé. Vanité des grands mots ! Ces hommes d’État étaient superbes de fermeté dans leurs déclarations officielles, mais n’osaient mettre la main au collet du premier drôle venu qui agitait le drapeau rouge de la guerre civile. Hésitans et lâches, d’une inexprimable lâcheté, en face des hommes de désordre, ils ne se montraient résolus et vaillans que sous la pression de l’émeute, pour exclure de leur république ceux des anciens partis qui voulaient s’y rallier. La république aux seuls républicains était, dans le fond, la devise de ces sectaires. Et leur exclusivisme allait croissant. On a vu comment ils avaient d’abord fait ménage avec les radicaux amédéistes. L’union ou, pour mieux dire, la désunion avait duré douze jours. Puis, avec le concours des intransigeans de la rue, ils avaient mis leurs alliés à la porte. Restait l’assemblée, où les radicaux se trouvaient en nombre : on lui persuada de clore sa législature bien avant l’élection de la future Constituante. Restait encore la commission de permanence, qu’elle avait laissée derrière elle pour veiller à sa place durant l’intérim. Les républicains ne furent satisfaits que lorsqu’ils eurent dissous cette commission par une mesure violente et illégale ; ce fut le coup d’Etat du 23 avril. Mais cette victoire ressemblait fort à celles de Pyrrhus. Ils avaient, en somme, réussi à faire le vide autour de la République. La base où leur gouvernement pouvait prendre appui devenait toujours plus étroite ; il ne représentait qu’une infime minorité dans la nation. Avait-on reproché assez durement à ce pauvre Amédée d’être le roi d’un parti ! Qu’était-elle donc leur République ? La proie de ses partisans, et quels partisans ! l’enjeu offert aux pires convoitises.

Cette politique désolait Castelar. Mais il avait les mains liées par ses collègues Figueras et Pi. Il les adjurait de gouverner ; vainement ! on ne l’écoutait pas, et l’on se défiait de lui. On s’efforçait