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était celui de la plupart des révolutionnaires, lesquels se paient de grands mots, qu’ils jettent en pâture, comme une viande creuse, aux pauvres foules crédules. Il eût été bien empêché s’il avait dû condenser en un programme de réformes positives la phraséologie humanitaire que son éloquence optimiste versait à longs flots ! — Citoyens, vive la République fédérale ! — C’est à merveille ; mais comment allez-vous l’instituer ? Sur quelles bases reposera cette organisation nouvelle ? Où s’étendront, où s’arrêteront les pouvoirs et le rôle, la sphère d’action du gouvernement central ? — Autant de questions qui restaient sans réponse. Et chacun se promettait de les résoudre à son gré. Le fait est que cette formule, qui semblait tout dire et cependant ne disait rien, était une porte ouverte sur l’inconnu. C’est le péril de certaines abstractions infiniment vagues qu’elles s’appliquent indistinctement aux mesures partielles, qui respectent l’ensemble des institutions, et aux utopies absolues, qui en font table rase. Pour quelques novateurs ayant le sens commun, le fédéralisme n’était guère plus que la décentralisation administrative poussée, il est vrai, à ses limites extrêmes ; mais, pour les masses ignorantes et pour les meneurs grossiers, c’était l’abolition immédiate de toutes les entraves qui restreignent l’autonomie de l’individu ; c’était la licence pour chacun de faire ce qui lui plairait ; en un mot, c’était l’anarchie.

Il y avait dans ces quatre syllabes : la Federal, de quoi faire la ruine d’un Etat. M. Pi y Margall, de la meilleure foi du monde, avait doté l’Espagne d’une plaie d’Egypte. Pour comble de malheur, dans le même temps qu’il y travaillait, son étrange esprit, qui tendait vers le faux aussi sûrement que d’autres vont à ce qui est vrai, doublait sa doctrine politique d’une doctrine sociale. Il adoptait en bloc cet amas confus de revendications indéterminées et de projets chimériques que l’on appelle, d’un mot aussi obscur que la chose, le socialisme ; il se prononçait en faveur de la propriété collective. Et il allait ainsi, socialiste et fédéraliste tout ensemble, doctor utriusque juris, propageant dans la presse ses deux découvertes. Il était à l’œuvre, en 1854, lorsque Castelar débuta. Mais Castelar, — on l’a vu dans la première partie de cette étude, — avait toujours réprouvé le socialisme. « Ah ! messieurs, disait-il aux Cortès, le 18 septembre 1873, j’ai toujours été en désaccord avec M. Pi y Margall sur bien des théories qu’il professe ; nos écoles, spécialement dans les questions