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ainsi porté, par 244 suffrages, à la présidence du pouvoir exécutif. En même temps, M. Pi y Margall était nommé ministre de l’Intérieur (Godemacion), M. Nicolas Salmeron, ministre de Grâce et Justice ; 245 voix désignaient Castelar pour le département des Affaires étrangères (Estado). Ces résultats furent proclamés, le 12 février, à deux heures du matin. Au moment où, sur l’invitation solennelle du président, les élus de l’assemblée souveraine prenaient place au banc des ministres, el banco azul, « le banc bleu, » comme on le nomme, Emilio Castelar abordait une période nouvelle de sa vie. Il passait de l’attaque à la résistance, de la parole à l’action, de l’opposition, où les discours suffisent, à la direction des affaires, où tout est malaise ; il allait connaître les tragiques angoisses et les écrasantes responsabilités de ceux qui exercent le pouvoir dans les pays libres et dans les temps troublés.

Ce gouvernement, à peine installé, rencontrait des difficultés partout, et d’abord en lui-même. Mi-parti radical et républicain, renfermant à la fois, par un monstrueux assemblage, des révolutionnaires de la veille et des ministres du roi Amédée, lesquels trouvaient bon de garder leurs portefeuilles sous la République, il subissait la condition fatale de sa double origine. Dès le premier jour, il fut divisé, par moitié, en deux fractions rivales : radicaux d’un côté, républicains de l’autre. Chacun tirait à soi ; c’était un ménage détestable. Dans cet antagonisme en quelque sorte préétabli, les moindres incidens tournaient en querelles ; c’était le conflit à l’état permanent. La nomination d’un préfet donnait lieu, en conseil, à des luttes acharnées. Ce bel accord dura douze jours. Puis une révolution intérieure se produisit. Le cœur manqua aux radicaux ; ils lâchèrent pied, abandonnant le terrain à leurs adversaires, qui mirent à leur place d’autres républicains. C’était un ministère censé homogène[1]. On l’appelait ainsi. Mais quelle étrange homogénéité ! Il paraît que, dans le premier conseil que le nouveau gouvernement avait tenu, le matin du 12 février, Castelar avait dit à ses collègues : « Nous venons de faire la République ; en voilà assez pour l’instant ; laissons le pays respirer ; la révolution est close. — Elle commence, au contraire ! aurait répliqué Figueras. » L’un parlait comme un politique, et l’autre comme un sectaire, qu’il n’était cependant pas par nature, je veux dire par conviction, mais qu’il se résignait à être par

  1. La Repùblica de 1873. Apuntes para escribir su historia, por F. Pi y Margall. Libro primero. Vindicucion del autor, Madrid. 1874.