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protestations platoniques. Cette impuissance irritait Castelar. Nos affaires ne marchent pas, disait-il : nous battons de l’aile dans le vide. Tenus en échec par un ministère de réaction, quel est notre intérêt ? Bien évidemment, qu’un autre cabinet, plus libéral, le remplace. Mais un premier obstacle s’y oppose : le parti radical, qui seul nous donnerait ce ministère, n’est, par lui-même, dans les Cortès, qu’une minorité. Si nous laissions entendre aux radicaux qu’ils peuvent compter sur notre appui, ou du moins sur notre neutralité « bienveillante, » un ministère radical serait possible, et le serait par nous. Seulement il faudrait faire cette déclaration à la tribune.

Le projet faisait peur aux chefs du groupe républicain. Comment venir publier qu’on était prêt à soutenir ou seulement à ne point combattre un ministère royaliste ? C’était, comme dans la fable, à qui n’attacherait pas le grelot. Le subtil Figueras lui-même, le stratégiste du parti, reculait : Castelar s’en chargea. Le 22 juin 1871, dans la discussion de l’adresse en réponse au message de la couronne, il commençait un très long discours, qu’il n’acheva que le lendemain, et qui est demeuré célèbre sous la dénomination de « Discours de la bienveillance. » Je m’y arrête, pour deux raisons : d’abord il eut à cette époque l’importance d’un événement, et cet événement allait dominer les deux années du règne. Il instituait une politique nouvelle, fondée sur l’alliance des radicaux amédéistes avec les républicains, alliance absurde comme un contresens et monstrueuse comme une trahison. Le fait est que, dans la séance du 23 juin 1871, Castelar sonnait le glas de la dynastie de Savoie. Ce jour-là, fut scellé le pacte d’où la République, à moins de deux ans de là, allait naître. — Mais ce discours, aujourd’hui, nous intéresse à un autre point de vue. Il nous apparaît comme le prototype de ceux que Don Emilio a prononcés quinze années plus tard et de la politique qu’il a suivie à l’égard de la Régence : le manifeste du mois d’avril 1894 en dérive logiquement comme les conclusions sortent des prémisses. Ce manifeste qui a si fort surpris, il y a cinq ans, en réalité, n’avait rien de nouveau. Il existait virtuellement et en germe dans le discours du 23 juin 1871.

Après avoir analysé minutieusement la situation intérieure, mettant en lumière les côtés faibles, les divisions, les disparates de cette majorité incohérente, l’orateur républicain, dans la seconde séance, et au moment de terminer, abordait enfin, après