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politique, où il semblait prophétiser et jetait les vérités à mains pleines, avec une verve désespérée, il allait retraçant tour à tour et opposant l’un à l’autre l’état d’âme des foules monarchiques et celui des foules révolutionnaires : « Deux années de critique incessante, implacable, ont aboli la foi monarchique dans les cœurs ; or, sachez-le, les peuples qui ont perdu cette foi, cette manière d’enchantement, sont pareils aux adolescens qui, en passant de l’enfance à la puberté, perdent l’innocence ; ils ne la retrouvent jamais... » S’adressant à tous ces sceptiques, à tous ces manœuvriers qui vivaient de la révolution : « Vous n’êtes pas, vous, habitués à respecter les monarchies. Vos âmes sont nourries de sentimens de colère contre les rois. Vous êtes tout pleins d’idées démocratiques. Le dédain de la tradition est la règle de votre conduite : conspirer est devenu une nécessité de votre nature. La critique amère, desséchante, est l’essence même de votre pensée ; vous excellez à renverser les trônes ; incapables de les relever... » Puis il retraçait « l’odyssée » de Prim à travers l’Europe, de Prim qui « demandait un candidat à chaque dynastie, » et la course de cet aventurier lancé à la poursuite d’un fantôme ; et, lui rappelant les suites épouvantables de la candidature Hohenzollern, il lui criait : « N’avez-vous pas assez de catastrophes ? »

C’était le 3 novembre 1870 qu’il faisait entendre ces prophétiques paroles. L’instant était suprême. Les Cortès avaient à se prononcer sur la candidature du prince italien qui fut l’honnête, inoffensif et éphémère roi Amédée. Dans cette séance, ce fut la voix de l’avenir, d’un avenir très prochain, que Castelar fit entendre. Mais jamais le mot profond d’Oxenstiern : « Va voir, mon fils, par quels petits hommes le monde est gouverné, » jamais ce mot si vrai ne le fut davantage ! Castelar eut beau démontrer la vanité de l’entreprise, et l’impuissance fatale de cette monarchie sans lendemain ; la majorité demeura sourde. En pareil cas, les plus beaux discours ne déplacent pas une voix ! Au fait, n’avait-on pas ce qu’on cherchait depuis deux ans ? Un jeune homme de bonne volonté était prêt à accepter la couronne, dûment rapetissée à sa mesure, de Charles-Quint et de Philippe II. Cette fois, Victor-Emmanuel avait dit oui. Il permettait à un de ses fils d’aller là-bas pour être le soliveau de ces grenouilles qui demandaient un roi I Déjà les alchimistes radicaux voyaient avec ravissement l’homunculus de leurs formules naître et sauter dans l’alambic... On vota donc, les yeux fermés, et Amédée de Savoie